Bye bye Mal, Hello Myriam

Mal Waldron parti rejoindre les étoiles, les bonnes sorties de l’hiver ont pour nom Myriam Alter, Stefano di Battista ou Cheiro de Choro. Qui donnent d’autres couleurs à la note bleue

Il y a deux semaines à L’Archiduc, le patron Jean-Louis venait d’apprendre une sale nouvelle: Mal Waldron était mort. Le musicien américain, célébré comme « dernier pianiste de Billie Holiday » (de 1957 à 1959), était souvent venu taquiner le clavier du piano-bar de la rue Dansaert, qu’il fréquentait en Bruxellois d’adoption. Hasard discographique: Waldron part alors qu’arrive son dernier enregistrement One More Time (Harmonia Mundi). Sur ses propres compositions, il navigue avec le contrebassiste Jean-Jacques Avenel et le sax soprano Steve Lacy pour une musique dégraissée et organique, faisant des tours et détours rythmiques mais arrivant toujours au coeur du jazz. Il faut quelques plages pour comprendre la manoeuvre, mais, ensuite, le plaisir d’entendre Waldron & C° est réel. Preuve que, à 77 ans, Mal cherchait toujours à oxygéner sa culture, à faire respirer son piano sur de nouvelles pratiques.

A l’autre bout de la galaxie jazz, le saxophoniste Stefano di Battista interprète sur Round Around Roma (Blue Note/EMI) des plages élégantes arrangées par Vince Mendoza, déjà responsable du superbe Both Sides Now, de Joni Mitchell. Di Battista signe six des huit titres de cet album instrumental qui semble dériver dans le passé glorieux de la péninsule. Et ce n’est pas une surprise s’il reprend le Romeo and Juliet, de Nino Rota, visiblement proche de ses propres canons esthétiques. C’est largement enveloppé et sucré, mais la qualité de la production et de l’interprétation – on y croise le pianiste belge Eric Legnini – garantissent une promenade sans faille. La notion de plaisir immédiat n’est pas étrangère à Cheiro de Choro, dont le Sol (Mogno Music/AMG) conjugue à nouveau le jazz et la musique brésilienne. Trois originaux « plus vrais que nature » du guitariste-bassiste Henri Greindl avoisinent sans dépareiller les oeuvres des plus grands Brésiliens, Jobim, Hermeto Pascoal ou Egberto Gismonti. Sobrement exécutée, cette musique a le sang chaud et la dextérité discrète. Les rythmes de Cheiro de Choro sont de la braise plutôt que du feu. Mais s’y frotter procure un dégourdissement apte à combattre toutes les engelures qui sont dans l’air.

Un excellent disque français satisfera ceux que la technique n’impressionne pas mais, qui au fond, aiment ça. Le pianiste Jacky Terrasson met dans son Smile (Blue Note/EMI) des standards comme Funny Valentine et d’autres morceaux qui n’ont pas nécessairement l’habitude d’être traités dans des disques de jazz. Ainsi Le Jardin d’hiver (tube d’Henri Salvador) ou, encore, sa version bizarroïde de L’Education sentimentale de Maxime Le Forestier sont l’objet d’une déconstruction a priori déconcertante mais qui est le signe d’un vrai regard musical de la part de Terrasson. Certes moins radical et brillant que Brad Mehldau, mais néanmoins conseillé pour les esprits aventuriers.

Le disque le plus attachant de cette sélection subjective est sans nul doute le If de Myriam Alter (Enja Records). Cette compositrice installée en Belgique a été élevée dans une famille judéo-espagnole et passe désormais sa vie à relire les cultures qui ont traversé l’histoire de ses aïeux. A New York, elle a rassemblé quelques musiciens de bonne, voire de grande réputation: John Ruocco à la clarinette, le bassiste Greg Cohen, le batteur Joey Baron, le pianiste Kenny Werner et Dino Saluzzi qui manie le bandonéon avec un coeur grand comme un tango brûlant. Cette dernière couleur joue une grande importance dans le disque qui exprime un imaginaire nomade dérivant de l’Amérique latine à la très vieille Europe. On y sent l’amour du jazz, mais aussi de toutes les sonorités qui racontent l’exil et les migrations, volontaires ou non. Un disque émouvant et terriblement actuel.

Philippe Cornet, A écouter aussi: Three to Get Ready, d’Arnould Massart, Philippe Aerts, Philippe M

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