Bracke :  » La Belgique est sortie des têtes « 

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

C’est le principal mérite que s’attribue la N-VA, au bout d’un an d’impasse politique. De Siegfried Bracke à Ben Weyts, les lieutenants de De Wever n’ont rien d’autre à offrir pour calmer la frustration et l’impatience des militants. Perplexité à la base, ténors sous pression : Le Vif/L’Express a pris le pouls de la N-VA.

L’étendard noir et jaune frappé du lion ne résiste pas à l’évocation brutale.  » Onaf, » Indépendance ! « , en néerlandais dans le texte. A ce mot lancé à la cantonade, le bout de tissu se décroche du mur pour s’échouer sur le podium, au pied des orateurs d’un soir. L’assistance pouffe, comme pour mieux chasser tout funeste présage. Les oiseaux de mauvais augure sont priés de s’abstenir à la N-VA. Ses militants s’évertuent à vivre sur le nuage où les a propulsés le raz-de-marée électoral de juin 2010. Mais le retour sur terre se dessine, douloureux. Au bout d’un an de surplace politique, c’est toujours le néant. De quoi ébranler le nationaliste flamand le plus endurci. La N-VA bombe toujours le torse vers l’extérieur, mais la posture devient fatigante à garder dans les rangs. Les lieutenants de Bart De Wever le savent, eux qui se relaient d’un bout à l’autre de la Flandre pour entretenir le moral des troupes. Pas du luxe.

 » Finissons-en ! « 

Le mois de mars tire à sa fin, et ce soir-là, une centaine d’hommes et de femmes ont rallié le centre communautaire d’Opwijk. Belle affluence pour un jour de semaine, dans cette bourgade du Brabant flamand à vingt kilomètres de Bruxelles. L’affiche proposée en jette : Ben Weyts et Siegfried Bracke, députés et bras droits du grand patron de la N-VA, sont annoncés. Demi-tuile : l’ex-journaliste vedette de la VRT déclare forfait. C’est un avocat, Matthias Storme, qui fera l’appoint : polémiste libéral-conservateur, figure radicale du mouvement flamand et nouvelle recrue dans les hautes sphères de la N-VA. Passé le topo de l’impasse politique, vite expédié puisqu’on tourne en rond, on ne se bouscule pas pour soumettre le duo d’invités à la question. Entre agacement et impatience, deux interventions fusent néanmoins. Doigt rageur pointé en direction de Meise, la commune voisine, un homme prend à témoin le Jardin botanique, qui échappe depuis dix ans à la Flandre au mépris de ce qui a été convenu avec les francophones. Argument choc pour presser le top de la N-VA :  » Pourquoi consacrer tant de compétences et d’énergie à négocier sans fin le salut d’une Belgique qui est de toute façon condamnée ? Finissons-en ! Tournons-nous vers un projet flamand !  » L’exhortation est chaudement appuyée par un autre partisan de la manière forte, de la  » façon Vlaams Belang « .

L’allusion explicite au rival nationaliste flamand, fortement affaibli mais toujours vivant, est accueillie avec une pointe visible d’embarras à la table des orateurs. Où l’on choisit ses mots pour tempérer les ardeurs.  » Ce n’est pas aussi simple. La scission du pays n’est pas sur la table des négociations, il n’y a pas de majorité démocratique pour cela. Mais l’indépendance de la Flandre reste l’objectif fixé à l’article 1 de nos statuts. Si nous voulons franchir le saut, nous devons être prêts. Nous préparer de manière efficace.  » La N-VA s’y attelle, assure Ben Weyts, soucieux d’aligner les raisons de ne pas désespérer :  » Notre plus grand mérite, c’est d’avoir ancré l’indépendance de la Flandre dans les esprits. Aujourd’hui, dans les cafés, tout le monde ose en parler ouvertement. Le sujet n’est plus tabou.  » La maigre consolation ne réussit guère à dérider l’assemblée. L’ambiance est plutôt à la détermination silencieuse. Teintée de scepticisme, à voir les moues sur certains visages. Le  » verandering « , le véritable  » changement  » promis, se fait toujours attendre.

 » Het geld is op ! « ,  » l’argent est parti ! « 

Apaiser les frustrations, implorer la patience. Au tour de Siegfried Bracke de s’y coller. La vedette médiatico-politique de la N-VA connaît la musique, à force d’enchaîner les soirées. Un bon mois après son rendez-vous loupé avec Opwijk, l’homme est venu prêcher la bonne parole à Glabbeek, autre entité du Brabant flamand. Mais ce 5 mai en soirée, toujours pas d’éclaircie dans la purée de pois qui entoure les négociations. Toujours rien pour satisfaire l’appétit de la petite cinquantaine de militants rassemblés dans la salle culturelle.  » Ici à Glabbeek, la N-VA a obtenu 30,6 % des voix aux élections de juin. Mais il est difficile de faire sortir les gens de chez eux « , relève le président de la section locale. Bracke sert la soupe habituelle. En faisant la grimace.  » Sans être dramatique, la situation n’est pas bonne. Nous sommes à la fin d’une histoire ou au début d’une autre « , assène l’orateur en détachant bien les mots, comme pour mieux se faire comprendre.  » Het geld is op ! « ,  » l’argent est parti !  » C’est encore plus joli quand Bracke le dit en français :  » Elio, tu auras ton pognon !  » L’orateur se reprend aussitôt en néerlandais :  » Il est fini le temps où Dehaene pouvait lancer ça aux francophones. Il n’y a plus de compromis à acheter. « 

Il y a surtout plus essentiel, aux yeux du ténor N-VA :  » La Belgique n’existe plus dans nos têtes. Pas plus que dans celles des francophones, sauf quand c’est pour une question d’argent. Souvenez-vous de cette émission de la RTBF, Bye-Bye Belgium : 80 % des téléspectateurs francophones n’ont même pas songé à vérifier sur les chaînes flamandes si l’indépendance de la Flandre était relayée. Incroyable, non ? » L’homme ne voit plus ce qui pourrait combler un tel fossé. Certainement pas la posture actuelle des partis francophones :  » Leurs quatre présidents ont rencontré le Voka, le patronat flamand. Catastrophique ! Joëlle Milquet a fait une impression désastreuse. Les patrons flamands en sont sortis en disant : « Nous sommes devenus N-VA ! » « … Quelques rires sont enfin arrachés à l’assemblée. Juste avant que la parole, donnée à la salle, ne plombe à nouveau l’ambiance. Un jeune conclut amèrement sa tirade :  » Au bout d’un an, vous n’avez rien fait.  » Monter aux barricades n’est pas le truc de Bracke :  » La révolution n’est pas une solution réaliste. Descendre dans la rue en brandissant des drapeaux ne donnera rien.  » Botter en touche, renvoyer les balles : à la N-VA, c’est toujours la faute aux autres. La faute à ces incorrigibles francophones et leur  » praatcultuur « , cet art de la parlotte inscrit dans leurs gènes et que Ben Weyts a cherché à expliquer aux militants d’Opwijk :  » Nous, Flamands, nous ne sommes pas comme ça : nous voulons toujours aller droit au but.  » La faute aussi à tous ces partis flamands de malheur, qui laissent la pauvre N-VA aller seule au feu. :  » Que tous les partis flamands s’unissent autour d’une ligne claire, et les francophones plieront « , assure Bracke. La faute encore à ces faiseurs d’opinions en Flandre,  » ces journalistes à 80 % de sensibilité de gauche « , qui ne plaident pas la cause des nationalistes flamands. L’ex-journaliste politique de la VRT sait de quoi il parle : en son temps, il a collaboré  » en stoemelings  » à la rédaction du manifeste des socialistes flamands. Mais ça, inutile de le préciser aux braves militants de Glabbeek.

La séance se prolonge, Bracke renvoie aimablement les balles. Ici, pour s’offusquer d’entendre le PS se faire traiter de parti raciste par un vieux militant de la VU surexcité. Là, pour qualifier la scission de BHV de  » combat symbolique et de principe pour lequel il faudra payer un prix « . Coup d’£il appuyé sur la montre : il est passé 22 h 30. Il est plus que temps de s’éclipser. Encore une soirée sacrifiée à entretenir la flamme vacillante. Difficile de tenir ce rythme encore longtemps.

PIERRE HAVAUX

Bracke :  » Elio, tu auras ton pognon : ce temps-là est fini « 

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