Bourlinguer

(1) La Part du diable. Précis de subversion postmoderne, Flammarion. Michel Maffesoli enseigne à la Sorbonne. Voir Le Vif/L’Express du 25 octobre 2002.

(2) L’Ombre de Dionysos, contribution à une sociologie de l’orgie, Le Livre de poche.

(3) Le Temps des tribus : le déclin de l’individualisme dans les sociétés postmodernes, La Table Ronde.

(4) Du nomadisme, vagabondages initiatiques, La Table Ronde, 207 p.

La Part du diable. Tel était le titre du livre de Michel Maffesoli dont Le Vif/L’Express rendait naguère compte (1). Le sociologue y observait les symptômes de ce que d’aucuns appellent la  » postmodernité « . Un phénomène dans lequel nombre d’observateurs voient volontiers une exacerbation narcissique et délétère de l’individualisme. Dans une interprétation parfois un peu pétainiste des choses, ramenant notre époque à une érosion des grandes valeurs modernes que furent le Progrès, la Raison et le Travail, ils prescrivent en tout cas volontiers, pour les réhabiliter d’urgence, un vigoureux effort d’éducation civique…

Rejetant cette vision, qu’il juge conservatrice et se faisant l’avocat de Lucifer, Michel Maffesoli, nous y invitait donc à poser un autre regard sur ces tendances qui prolifèrent et se propagent : violence des quartiers, rodéos urbains, attentats terroristes, hooliganisme, rejet de la politique, sports extrêmes, écologie profonde, etc. C’est que le philosophe, qui entend s’ouvrir sans retenue aux remuements de la vie, se veut pur ethnologue face aux mutations contemporaines des liens sociaux. Pour lui, la société se fragmente désormais à vive allure sans perspective significative de recomposition stable.

L’individu actuel, soutient-il, désire jouir de ce qui se donne à vivre. D’où un triple rebroussement par rapport aux assignations de la modernité : l’hédonisme (2), le tribalisme (3) et le nomadisme auquel il vient de consacrer un nouvel essai (4). Le désir d’errance y apparaît comme une constante anthropologique qu’il est vain de vouloir combattre ou de croire éradiquée. L’animal humain reste un animal, écrit-il : toujours la domestication n’est que provisoire. Un vagabondage qui, aujourd’hui, prend des formes originales : idéologies portatives, papillonnages amoureux, mobilité professionnelle, spiritualité en kit, etc.

Ces désirs d’ailleurs sont, pour Maffesoli, une véritable lame de fond sociétale, un nouvel air du temps qui réenchante le monde. D’une plume aux accents rimbaldiens, il décrit par le menu cet ensauvagement de l’existence, ce passage de l’individu unique, homogène formaté par la modernité austère héritée des Lumières, à la personne plurielle travaillée par le retour contemporain des valeurs dionysiaques. Ce faisant, l’auteur pourfend au passage ceux qui, des ascètes protestants aux utilitaristes libéraux en passant par les rationalistes, continuent à vouloir peupler la planète de belles âmes. A vouloir répéter ce qui devrait être au lieu d’acquiescer simplement à ce qui est.

Maffesoli a raison de dire que ce tsunami est subversif dès lors que l’idéal de tout pouvoir est la sédentarité, l’immobilité de ses sujets, sinon leur enfermement : l’Etat moderne, qui entend tout contrôler, tout gérer, n’aime pas les oiseaux migrateurs… Cela étant, comme toutes les réflexions sur la postmodernité, Maffesoli fait l’impasse sur la question sociale qui distribue de manière inégalitaire la capacité d’accès aux charmes du nomadisme. l

Jean sloover

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