Bonnes nouvelles de Gordimer

Prix Nobel en 1991, elle n’a jamais cessé de défendre les Noirs d’Afrique du Sud. Et son ouvre, comme en témoigne son dernier recueil, Pillage, est une magistrale autopsie de la condition humaine

Pillage, par Nadine Gordimer. Trad. de l’anglais par Georges Lory. Grasset, 300 p.

Quel sens faut-il donner au titre de votre ouvrage, Pillage ?

E Il fait allusion à mon butin d’écrivain, à tout ce que j’ai pu rassembler pour dire la variété et la complexité de l’expérience humaine. Ecrire, cela revient à dévoiler des vérités cachées. Les journaux et la télévision ne font qu’effleurer la surface des événements. Mais le romancier, lui, doit s’aventurer plus loin : son imagination est une sorte d’intuition qui lui permet de comprendre en profondeur son époque, sans négliger tout ce qu’il peut y avoir de personnel, d’intime et de secret sous les événements.

Les sentiments de vos personnages sont souvent contradictoires, sous le signe du malentendu. Pourquoi ?

E Je pense que les hommes ne se comportent de façon cohérente qu’en se montrant incohérents. Cela n’a jamais cessé de me fasciner.

Vous avez écrit un très grand nombre de nouvelles. Est-ce un genre très spécifique, par rapport au roman ?

E Oui. Une nouvelle ressemble à un £uf. Elle me vient toujours de façon compacte, avec toute la densité de sa matière. Une fois que j’ai trouvé le début, je sais exactement quelle en sera la fin. Le roman, au contraire, n’est pas soumis à une telle concision. Il met en jeu des thèmes qui seront explorés à des niveaux différents. Lorsque je le commence, j’ai seulement besoin d’entendre la  » voix  » qui saura le raconter, et c’est au fil de l’écriture que je découvre comment il va s’échafauder.

Vous vous définissez souvent comme une  » Africaine blanche « . Comment doit-on le comprendre ?

E Je suis née en Afrique du Sud et j’y ai toujours vécu en tant que citoyenne africaine. Pendant la lutte contre le gouvernement minoritaire blanc, je me suis identifiée à l’ANC. J’ai milité au sein de ce mouvement noir très efficace, et c’est pour cette raison que l’on m’accepte en tant qu’Africaine. Sans que la couleur de ma peau pose de problème.

Où en est la question de la mixité entre Noirs et Blancs ?

E Comment peut-on espérer qu’elle soit totalement réglée en dix ans seulement ? Cela dit, nous avons maintenant l’une des meilleures Constitutions du monde, qui garantit légalement les droits de chacun. Mais 20 % de la population possède encore 80 % des terres ! Cela n’empêche pas certains entrepreneurs noirs de s’imposer, dans l’exploitation minière ou l’informatique, par exem- ple. Mais le fort taux de chômage reste très préoccupant, et il y a aussi la question des immigrants clandestins venus de pays en guerre, comme le Congo ou le Zimbabwe. Enfin, il y a le problème de l’analphabétisme et du sida. Malgré tout, les relations professionnelles et privées entre Noirs et Blancs se passent extrêmement bien. Personnellement, j’aimerais voir se développer des projets publics s’inspirant du New Deal de Roosevelt, dans ce pays où les chômeurs, notamment les jeunes, peuvent créer les infrastructures nécessaires tout en développant leurs aptitudes pour le commerce.

Vous vous êtes toujours engagée. Quels sont vos projets, en ce moment ?

E Je viens de superviser une anthologie internationale de nouvelles qui rassemble de grands écrivains, dont quatre Prix Nobel. Les droits d’auteur seront versés aux organisations qui luttent contre le sida en Afrique du Sud. Je fais aussi tout ce que je peux pour encourager les initiatives de développement dans mon pays et je parraine un nouveau projet, ludique et éducatif à la fois, le  » Freedom Park  » : il s’agira de montrer au public, sur un très vaste site, comment l’Afrique du Sud a évolué, sur le plan de la culture et de l’environnement, depuis la période préhistorique.

Entretien : André Clavel

ôLes hommes ne se comportent de façon cohérente qu’en se montrant incohérents »

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