Boillon, l’autre homme pressé
Ce » Sarko-boy » s’est reconverti dans les affaires. Interpellé dans une gare parisienne avec 350 000 euros en liquide, l’ambassadeur si peu diplomate se trouve dans le collimateur de la justice.
Il ne s’en est jamais caché : Nicolas Sarkozy méprise les diplomates, ces professionnels de la négociation, instruits par l’expérience sur les limites de leur action. Pas étonnant qu’il ait été séduit par Boris Boillon. Fougueux et volontariste, narcissique et vibrionnant, tour à tour séducteur et cassant, nul doute que le beau gosse renvoyait une image flatteuse à son mentor, comme d’autres » Sarko-boys » associés à la victoire à la présidentielle de 2007. Car ces deux-là se ressemblent : obsédés par le temps qui passe, jetés dans une éternelle fuite en avant, avides de pouvoir et amateurs de belles montres, la faille psychologique prend souvent, chez l’un et l’autre, l’allure d’une comédie bouffonne.
L’interpellation de Boris Boillon, le 31 juillet, dans une gare parisienne, avec 350 000 euros et 40 000 dollars dans ses bagages, est typique de cet humour involontaire : voilà le fils de » pieds-rouges « , ces militants de gauche engagés naguère aux côtés des indépendantistes algériens, arrêté comme » porteur de valises » ! Aux douaniers, l’ambassadeur reconverti dans les affaires, désormais résident en Belgique, explique que l’argent provient de ses activités en Irak, où les prestations sont réglées en liquide, et qu’il doit servir à créer une filiale de sa société de consulting international, Spartago. L’enquête de la police judiciaire de la douane dira ce qu’il en est. Entre-temps, le mal est fait. Car la loi interdit le transfert en liquide de plus de 10 000 euros dans un autre pays de l’Union européenne sans déclaration préalable. Après Claude Guéant, un autre personnage symbolique du quinquennat est dans le collimateur de la justice. Pour une histoire de cash…
Passé par Sciences po et par l’Institut national des langues et civilisations orientales, Boris Boillon entame sa carrière au Quai d’Orsay, avant de rejoindre, en avril 2006, la nébuleuse Sarkozy au ministère de l’Intérieur, où il devient conseiller diplomatique. L’année suivante, âgé de 37 ans, il suit son patron à l’Elysée et rejoint la cellule diplomatique, où il travaille, avec Claude Guéant, à la libération des infirmières bulgares alors détenues en Libye. C’est lui, surtout, qui organise la visite de Kadhafi à Paris, en décembre 2007 : le dictateur de Tripoli l’appelait volontiers » mon fils « .
Sa nomination comme ambassadeur à Bagdad, en juillet 2009, fait grincer quelques dents au Quai d’Orsay : » C’est un peu gros pour lui, confiait un homme du sérail. Dans l’Irak tel qu’il est, il faut de la bouteille et du sang-froid. » Sur place, durant près d’un an et demi, il consacre l’essentiel de son énergie au front économique. Décidé à faire revenir les hommes d’affaires, il construit à leur intention un centre d’affaires bunkerisé en face de l’ambassade. » La reconstruction en Irak est le marché du siècle « , explique-t-il alors, en balayant d’un revers de la main toute allusion aux tensions communautaires et aux fractures historiques profondes de la société irakienne. C’est l’époque où ses confrères américains, dans des télégrammes diplomatiques révélés depuis par le site WikiLeaks, raillent son » ignorance « , ses » incohérences » et ses » erreurs » d’appréciation. Mais le pire est à venir.
Nommé ambassadeur de France en 2011 dans » la Tunisie nouvelle « , il choque par son langage abrupt et ses manières trop directes, sans oublier la diffusion d’une photo un peu ridicule, postée sur Internet, où il prend la pose en maillot de bain. » Pour les Tunisiens, l’ambassadeur de France doit être un « Monsieur », confie un ancien proche. Ils ne veulent pas d’un gamin. »
A peine arrivé à l’Elysée, François Hollande le fait remplacer. Au placard dès août 2012, Boillon a préféré se mettre en disponibilité de la fonction publique pour se lancer dans des activités plus lucratives. Et plus hasardeuses.
Par Marc Epstein, avec Elodie Auffray (à Tunis), Vincent Hugeux et Dominique Lagarde
Ses confrères américains raillent son » ignorance « , ses » incohérences »
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