Blix, le gentleman tranquille

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Hans Blix, seul homme au monde à pouvoir encore arrêter la guerre ? Le chef des inspecteurs de l’ONU présentera, le 7 mars, un nouveau rapport très attendu sur l’Irak. Portrait de ce diplomate suédois haï par les faucons américains

Les tam-tams de la guerre battent chaque jour plus fort à Washington, mais Hans Blix demeure imperturbable. Un léger sourire aux lèvres, le patron des inspecteurs en désarmement de l’ONU répond toujours poliment et posément aux questions des journalistes. L’heure a beau être grave, lui reste serein.  » C’est sa principale qualité, note un diplomate. Il garde son sang-froid en toutes circonstances.  » Comme s’il n’entendait pas les voix qui, de part et d’autre de l’Atlantique, assurent que les jeux sont faits. Qu’une intervention militaire en Irak est imminente. Que la seule question en suspens est de savoir si les Etats-Unis la mèneront avec ou sans le coup de tampon des Nations unies. Et que le dernier tour de piste des Américains à l’ONU vise à convaincre une majorité au Conseil de sécurité de dresser le constat d’échec de la mission des inspecteurs.

Hans Blix doit présenter son nouveau bilan des inspections de la Commission de contrôle, de surveillance et d’inspection du désarmement de l’Irak (Unmovic) le 7 mars prochain. Un rapport plus sévère que le précédent faciliterait évidemment la tâche des Américains. En attendant, le diplomate suédois a exigé des Irakiens qu’ils commencent à détruire, dès le 1er mars, leurs missiles Al-Samoud 2, dont la portée dépasse légèrement les 150 kilomètres autorisés par l’ONU. Si Bagdad continue à exprimer des réticences, l’argumentation pro-guerre y gagnera. Entre-temps, Blix, sans cesse à la recherche du  » juste milieu « , souffle le chaud et le froid. Dans un entretien accordé cette semaine à l’hebdomadaire américain Time, il a estimé justifiée la poursuite des inspections, tout en concédant qu’il n’accordait  » aucune crédibilité  » au régime de Saddam Hussein.

Une petite phrase qui ne calmera sans doute pas les faucons de l’administration Bush, très remontés contre Blix, jugé  » beaucoup trop mou  » face à Saddam Hussein. La presse américaine accuse le Suédois placide d’être un  » bureaucrate incompétent  » et un  » diplomate peureux « . Il serait trop soucieux des salamalecs diplomatiques pour mener à bien l’inspection musclée permettant de désarmer l’Irak. Blix n’avait-il pas annoncé lui-même la couleur, en novembre dernier, quand ses inspecteurs se préparaient à retourner dans le pays qu’ils avaient quitté en décembre 1998 : il voulait des inspections  » efficaces  » mais conduites  » avec correction et sans provocation « . Allusion au style bille en tête de son bouillant prédécesseur, l’Australien Richard Butler.

La personnalité de Blix, gentleman de 74 ans au visage quelconque caché par des lunettes à double foyer, est aux antipodes. Chacun des mots de cet ancien ministre des Affaires étrangères, né à Uppsala, au nord de Stockholm, est pesé avec élégance. Homme de raison et non de passion, il est plus enclin au compromis qu’au choc frontal. D’où l’idée de compléter les qualifications techniques de ses inspecteurs par une formation psychologique, pour leur apprendre à être  » corrects  » avec leurs interlocuteurs irakiens et à surmonter les différences culturelles. Universitaire inspiré par la réflexion plus que par l’action, Blix croit, comme Kant, à la supériorité intrinsèque du droit. Pour lui, le respect de la souveraineté est un impératif catégorique. La doctrine de la guerre préventive qui inspire Bush n’est pas vraiment sa tasse de thé.

Dernier rempart avant l’apocalypse

Sa nomination à la tête de l’Unmovic, il y a trois ans, avait été, selon certains diplomates, poussée par la Russie et la France. Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies, l’avait préféré à un autre Suédois, Rolf Ekeus, le candidat de Washington, qui avait été en charge des inspections en Irak de 1991 à 1997. Pendant seize années (1981-1997), Blix a dirigé l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), dépendance onusienne basée à Vienne. A cette époque, il avait déjà eu l’occasion de  » se frotter  » aux Irakiens, qui avaient pu apprécier son professionnalisme et sa courtoisie. Mais les Américains rappellent volontiers qu’à l’époque ses équipes n’ont pas été capables de trouver la moindre preuve du programme nucléaire militaire de l’Irak.  » Blix s’est fait complètement manipuler par Bagdad, dénonce un ancien inspecteur en désarmement. L’homme est charmant, mais c’est un grand naïf et un juriste tatillon, opposé aux perquisitions sauvages.  »

Blix a reconnu que l’AIEA avait été  » totalement flouée  » par les Irakiens. Et il a médité ses échecs. Pendant deux ans, il a étudié rapports et images satellites des services de renseignement. De son expérience il a retenu que les inspections  » cosmétiques  » sont  » pires que pas d’inspection du tout « . Mais il sait aussi que sans la coopération du régime irakien il n’y a pas d’inspections efficaces. Le 14 février, le patron de l’Unmovic a présenté un rapport volontairement mitigé au Conseil de sécurité. Il a cherché à compenser l’avantage que son réquisitoire du 20 janvier avait donné aux partisans de la guerre. Il s’agissait, en outre, de sanctionner le déballage politico-médiatique de  » preuves  » peu convaincantes effectué au Conseil par Colin Powell, le 5 février.

Chaque compte rendu de Blix sur le travail de ses équipes est décortiqué à la virgule près par la communauté internationale.  » S’il adopte un ton trop négatif à l’égard de la coopération irakienne, les Etats-Unis poussent à la guerre, explique- t-on à l’ONU. S’il se montre trop satisfait, il est aussitôt attaqué par Washington.  » Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont, en tout cas, accéléré ces jours-ci le compte à rebours pour une intervention militaire. Dans l’autre camp, conduit par la France, l’Allemagne et la Russie, Blix fait dès lors plus que jamais figure de dernier rempart avant l’apocalypse. Mais le diplomate rejette cette comparaison et martèle que,  » serviteur du Conseil de sécurité « , il compte les points avant de s’effacer devant le politique.

Olivier Rogeau

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