Benoît XVI Les secrets d’une démission

 » Nos ergo debemus […] cooperatores simus veritatis  » ( » Nous devons être collaborateurs de la vérité « ). Jamais autant qu’en annonçant sa démission, programmée pour le 28 février, Benoît XVI n’aura été si fidèle à sa devise. Prenant acte de l’âge et de la fatigue, conscient que la médecine peut désormais poser un grave problème à l’Eglise en prolongeant la vie de papes n’ayant plus toute leur lucidité, Benoît XVI quitte son trône avec courage et panache. Il achève ainsi par un trait de modernité un pontificat qui en aura connu bien peu : Benoît XVI, pape révolutionnaire – à la fin.

Tout au long de son mandat, et même de son entier parcours religieux, Joseph Ratzinger a incarné trois autres qualificatifs : politique, intelligent et conservateur. Politique, il le fut à la tête de la curie, mais aussi en inspirant nom après nom la composition du conclave qui finit par l’élire comme successeur de Jean-Paul II. Il le fut surtout par sa gestion des rapports de force internes à l’Eglise, des relations avec les autres religions et des polémiques inhérentes à la marche du siècle : son pontificat a révélé un homme de pouvoir déterminé, à défaut d’être toujours adroit. C’est que l’intellectuel en lui était parfois trop subtil pour un monde épris de simplisme et de manichéisme. Benoît XVI fut souvent caricaturé, jusqu’à ressembler à cet ours qui ornait ses très germaniques armoiries, et paya le prix élevé de la polémique. Parfois brutal, souvent incompris, il ne fut pas un pape aimé.

Son conservatisme, sa volonté de rétablir la tradition sur de nombreux points de doctrine et son refus de mettre l’Eglise au diapason de la société lui ont coûté cher, par contraste avec l’audacieux Jean-Paul II. Avec cette démission qui aura force de jurisprudence, Benoît XVI prend, en quelque sorte, sa revanche en matière d’innovation…

Fidèle à son Dieu, à sa foi, à l’idée qu’il se faisait du ministère pontifical.  » Quand un pape en vient à reconnaître en toute clarté que, physiquement, psychiquement et spirituellement, il ne peut plus assumer la charge de son ministère, alors il a le droit et, selon les circonstances, le devoir de se retirer « , disait-il déjà sans la moindre ambiguïté dans Lumière du monde (Bayard), un livre d’entretiens réalisé avec le journaliste Peter Seewald et publié en 2010. L’heure a donc sonné. Benoît XVI s’en va, grand seigneur, tel un artiste soucieux de quitter la scène alors qu’il est encore temps ; bien loin d’un Jean-Paul II malade, arrimé au trône de Pierre jusqu’à son dernier souffle. Indifférent, aussi, à l’énorme secousse déclenchée par son annonce sur cette planète médiatique dont il goûte si peu les emballements et les raccourcis. Ce sont les fidèles, ses fidèles, à qui songe le vieux pape voûté par les années – 85 ans – et les nombreux scandales endurés sous son pontificat, jusqu’à ces tragi-comiques  » VatiLeaks « , l’été dernier. On dépeint souvent le Vatican comme un lieu d’intrigues et d’opaques tractations financières. Par son geste inouï, Benoît XVI prouve à tous les railleurs que l’épicentre de l’Eglise catholique renferme aussi une spiritualité sincère, plus forte que l’enivrant parfum du pouvoir.

La tâche fut rude, de cela, aucun doute. Sept ans de ministère, des scandales s’égrenant comme les grains d’un chapelet, une Eglise désemparée face à la crise des vocations, un credo catholique de plus en plus difficile à marier avec la modernité… Les observateurs prédisaient un pontificat de transition ? Joseph Ratzinger savait qu’il n’en serait rien. Dès sa première homélie dominicale, à peine élu, le nouveau pape eut cette phrase, ce cri du coeur plutôt :  » Priez pour moi, afin que je ne me dérobe pas, par peur, devant les loups.  » Comment ne pas ressentir de l’effroi lorsque l’on a 77 ans, une vie de théologien derrière soi et, pour toute expérience de terrain, un an de vicariat dans une paroisse munichoise ? En ce mois d’avril 2005, Benoît XVI, qui n’aime rien tant que feuilleter ses livres – il en possède plus de 20 000, dit-on -, ses précis de théologie et ses souvenirs, se voyait bien davantage couler une retraite paisible sous le soleil romain, plutôt que prendre les rênes d’une institution planétaire et deux fois millénaire mais en crise. Ce que d’autres appellent le destin et qu’au Vatican on nomme l’Esprit saint en décida autrement. Ratzinger avait longtemps été surnommé le  » Panzerkardinal  » pour ses fulgurantes mises à l’index des grandes figures de la théologie de la libération. Vingt-trois ans à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi ne s’effacent pas d’un jet de fumerolle blanche… Pourtant, l’ancien bras droit de Jean-Paul II ne rentra pas dans les coutures de sa caricature.

Une société occidentale  » en pleine décomposition  »

Dès son élection, il fit beaucoup plus que s’occuper des affaires courantes, se jetant corps et âme dans la bataille afin de revivifier le  » message  » évangélique. Avec lui, les catholiques furent invités à prier et prier encore. A se plonger dans leur tradition et l’enseignement de l’Eglise. A faire fi des procès en obscurantisme ou des critiques leur reprochant d’aller à contre-courant de la culture moderne. L’heure était trop grave, disait Benoît XVI, pour s’embarrasser de fioritures, face à une société occidentale  » en pleine décomposition « . Tout au long de son magistère, le 264e héritier du trône de Pierre déplora les égarements de l’individu moderne, abîmé dans un  » tout se vaut  » délétère, n’acceptant d’autre maître que lui-même. En timonier consciencieux et méthodique, il fit tout pour tenir la barre, quitte à déchaîner lui-même les éléments.

Le 12 septembre 2006, le pape bavarois est attendu à Ratisbonne, en Allemagne. Il connaît bien la ville, il y a enseigné dans les années 1960, au plus fort du marxisme, et il y a laissé des souvenirs mitigés. Devant un parterre de 1 500 étudiants de l’université,  » Il Professore  » se livre à un brillant exposé théologico-philosophique dans lequel il associe l’islam et la violence. Ce discours est l’occasion pour lui d’aborder l’un des thèmes centraux de sa pensée : l’alliance nécessaire entre la foi et la raison. Depuis toujours, répète Joseph Ratzinger, il n’est de meilleur remède à l’intégrisme que de passer sa croyance au crible de l’intelligence et du raisonnement…

Le discours de Ratisbonne déclenche une immense colère dans le monde musulman : protestation des pays arabes, menaces d’attentats, représailles contre les chrétiens d’Orient… Le pape n’a d’autre choix que d’envoyer un signe d’apaisement. Deux mois plus tard, Benoît XVI s’envole pour la Turquie, où les caméras le filment dans la mosquée Bleue d’Istanbul, au côté du grand mufti de la ville, les mains pliées sur sa soutane, les yeux fermés et le buste tourné vers La Mecque. Le christianisme et l’islam réunis dans un même souffle spirituel… Les vaticanistes passeront la nuit à se demander si le Saint-Père a réellement prié, ou seulement médité. Venant d’un théologien rétif à l’idée d’une prière commune entre fidèles de religions différentes, car persuadé de la supériorité du christianisme, le geste avait en effet de quoi surprendre.

Les cafouillages du porte-parole

Il y eut d’autres faux pas durant ces premières années de pon- tificat. Comme cette visite au Brésil, au printemps de 2007. Benoît XVI passe sous silence les exactions des conquistadors espagnols, ce qui lui vaut les protestations du président Lula. En 2009 survient l’affaire des intégristes. Le Vatican lève l’excommunication de quatre prélats jadis consacrés par Mgr Lefebvre sans l’aval de Rome. Le dossier renvoie à un problème interne de l’Eglise, mais dans le quarteron des prélats en question se trouve un évêque aux sourcils aussi charbonneux que sa soutane, Richard Williamson, dont la fibre négationniste met aussitôt le feu aux poudres. Deux jours avant la publication du décret du Vatican, un entretien ancien du religieux dans lequel il remet en question l’Holocauste est opportunément diffusé sur Internet. Benoît XVI avoue qu’il n’était pas au courant.  » Personne chez nous n’est allé voir sur Internet de quoi il s’agissait !  » admet-il même en 2010 dans le livre Lumière du monde, avant de conclure :  » Notre travail avec la presse n’a pas été à la hauteur.  »

C’est peu de le dire. Le pontificat de Benoît XVI aura été marqué par les cafouillages du porte-parole du Vatican, Federico Lombardi. A la décharge de ce jésuite expert en langue de buis, le Saint-Père n’échangeait qu’une fois par semaine avec lui, là où son prédécesseur, Jean-Paul II, consulte tous les jours son conseiller de presse Joaquin Navarro-Valls. Benoît XVI ne s’en cachait pas : il n’aime pas les médias, qu’il ne juge bons qu’à amplifier le brouhaha du monde et à répandre les fausses certitudes.  » La communication est une horreur, témoigne un journaliste spécialisé dans l’actualité vaticane. Les décisions, parfois mal préparées, étaient très peu expliquées.  » Et les cardinaux, muets comme des chartreux, ce qui changeait du temps béni de Wojtyla et de ses prolixes collaborateurs polonais. Sur la fin de son pontificat, contraint par l’ampleur du scandale des VatiLeaks, Benoît XVI finit tout de même par nommer un expert en gestion de crise médiatique : Greg Burke, transfuge de la chaîne Fox News et membre de l’Opus Dei.

Le journaliste américain aurait sans doute été d’un grand secours s’il avait été aux manettes, en 2009, lorsque le rapport Murphy sur l’Eglise d’Irlande fit exploser la  » bombe pédophile « . Benoît XVI s’y attendait. Depuis le début des années 2000 et la découverte de milliers de cas d’enfants abusés par des prêtres aux Etats-Unis, l’institution catholique était confrontée à ses flagrantes défaillances sur ce dossier.  » Joseph Ratzinger lui-même avait demandé à centraliser les affaires de pédophilie du clergé dans sa Congrégation pour la doctrine de la foi et reçu plusieurs victimes, afin de faire avancer les choses, raconte un membre de la curie. Il avait confié à son entourage combien cette question le préoccupait, mais tout était verrouillé par le haut.  » Le  » haut  » ayant pour nom Jean-Paul II. A peine élu pape, le même Ratzinger diligenta, de fait, une enquête sur le père Maciel, fondateur défunt des Légionnaires du Christ, coupable lui aussi de nombreux abus sur des mineurs.

Lors de son voyage aux Etats-Unis, en 2008, Benoît XVI avait également reçu une délégation de victimes de prêtres pédophiles. Mais le rapport Murphy marquait un tournant : pour la première fois, une juge mettait directement en cause la hiérarchie catholique, montrée du doigt pour avoir fermé les yeux. En Australie, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, l’onde de choc se propagea, déliant les langues, exhumant des affaires anciennes, et d’autres, beaucoup plus récentes… En 2010, dans une lettre aux évêques irlandais, Benoît XVI reconnaissait les fautes du clergé, intimait l’ordre aux coupables de comparaître devant les tribunaux séculiers et condamnait les évêques pour leur silence complice. Du jamais-vu. Cette lettre fut suivie d’une autre envoyée aux évêques du monde entier, précisant le dispositif antipédophile (meilleur recrutement des prêtres, collaboration avec la justice, etc.), puis d’un symposium l’année suivante, à Rome. Ce pape si attaché à la pureté de son Eglise – cette Eglise qu’il considérait, en bon disciple de saint Augustin, comme le corps même du Christ – ne pouvait pas rester insensible aux exactions de ses membres et au mal infligé à des enfants. A la différence de plusieurs hiérarques catholiques, il évita d’ailleurs de se lancer dans un réquisitoire contre les médias. Sa réponse, quoique tardive et imparfaite au vu de l’ampleur des crimes, marque néanmoins une rupture dans l’histoire de l’Eglise, contrainte d’admettre qu’elle ne peut plus se prétendre au-dessus de la justice des hommes.

Sans doute les mesures prises par Benoît XVI pour lutter contre la pédophilie dans l’Eglise resteront-elles comme le  » grand oeuvre  » de son pontificat. Un pontificat qui s’achève aujourd’hui dans le sillage d’un autre scandale, celui des VatiLeaks, complot à moitié élucidé avec deux coupables désignés – le majordome Paolo Gabriele et un informaticien – mais dont les instigateurs courent sans doute toujours.

La publication, au printemps dernier, de documents volés dans la maison papale par le domestique, a montré les failles dans la gouvernance de Benoît XVI, pape solitaire, déléguant à son bras droit, Tarcisio Bertone, les décisions politiques, pour mieux conserver la haute main sur ce qui lui apparaissait le coeur de sa charge : la foi. La situation a eu l’avantage de permettre au vieux pape d’économiser ses forces, mais elle a laissé aussi toute latitude aux manoeuvriers de la curie pour décrier le même Bertone ou répandre mille rumeurs, surtout dans les derniers temps du pontificat. Benoît XVI a placé à la tête des congrégations – les  » ministères  » du Vatican – des proches, qui avaient travaillé avec lui lorsqu’il était préfet de la doctrine de la foi. Des cardinaux issus de la diplomatie ou de la filière enseignante salésienne, peu rompus à l’exercice du pouvoir. Si le pontife avait été plus audacieux dans sa réforme du gouvernement de l’Eglise, sans doute eût-il été moins pris de court par cette machination aux accents de comédie italienne.

Il pouvait prononcer quinze discours par jour

Mais  » Il Professore  » est tout sauf un politique, même s’il a su se faire plus stratège au fil de son ministère, parvenant à concilier défense sans relâche de la liberté religieuse dans les pays musulmans où les chrétiens sont persécutés et dialogue avec les autorités de l’islam. Sa passion pour les bibliothèques, il est vrai, ainsi que son naturel réservé ne le prédestinaient pas à endosser la chasuble papale et la fonction de chef d’Etat du Vatican qui lui est associée. Sacré archevêque de Munich en 1977, à 49 ans, créé cardinal par Paul VI un mois plus tard, appelé à Rome par Jean-Paul II pour diriger le Saint-Office dès 1981, Joseph Ratzinger connut à Rome une carrière fulgurante sans jamais miser sur les coteries de la curie. Durant son pontificat, il n’a pas changé. En revanche, il s’est départi un peu de sa raideur au gré des voyages et des bains de foule. Ici, il osait un grand sourire, là, une caresse sur la joue d’un enfant. Le mercredi, jour de sa catéchèse hebdomadaire, les fidèles du monde entier se pressaient pour écouter ce  » pape de la parole « , si pénétré par ses discours qu’il pouvait en prononcer une quinzaine par jour. Ses journées au palais pontifical sont réglées comme un concerto de Mozart, son compositeur préféré : lever vers 6 heures, messe dans la chapelle du Vatican, accompagné de ses deux secrétaires particuliers, l’Allemand Georg Gänswein et le Maltais Alfred Xuereb, ainsi que des quatre laïques italiennes chargées de son linge et de sa cuisine, Loredana, Carmela, Cristina et Rossella. La matinée est consacrée aux audiences et au travail d’écriture sur son bureau, le même depuis 1954, décoré de ses objets fétiches : un sous-main éculé et un chaton de porcelaine. L’après-midi, après la sieste et une promenade dans les jardins, ce pape solitaire s’accordait parfois une respiration musicale sur le piano à queue que les déménageurs avaient eu tant de mal à hisser jusqu’à ses appartements. La fin de journée était réservée aux plus proches collaborateurs. Benoît XVI sortait rarement et on lui connaît peu d’amis, hormis quelques religieux du clergé allemand et un mystérieux banquier munichois qui lui faisait livrer un sapin de Bavière chaque Noël. Ces derniers temps, ses forces s’amenuisant, on le voyait parfois user d’une estrade mobile pour parcourir la nef de la basilique Saint-Pierre. Jamais pape ne fut si bien soigné : à l’étage de ses appartements, plusieurs pièces avaient été aménagées en service hospitalier, avec médecins et infirmiers disponibles à toute heure.

L’amour de la liturgie à l’ancienne

Benoît XVI restera-t-il dans l’Histoire comme un pape réactionnaire ? La question appelle une réponse plus subtile que les nombreuses crucifixions médiatiques dont il fut l’objet. Sa mansuétude envers les intégristes, hérauts mal inspirés d’une Eglise des catacombes, a, de fait, profondément choqué. S’il s’agissait de donner des gages à l’aile la plus conservatrice des fidèles, pourquoi ne pas s’être contenté de réintroduire la messe en latin, en complément de la messe moderne ? Durant tout son mandat, le pontife allemand a obstinément poursuivi les négociations avec les épigones de Mgr Lefebvre, jusqu’à leur proposer un statut particulier dans l’Eglise, en échange de leur reconnaissance de l’autorité du magistère de Vatican II, le concile qui consacra le dialogue de l’institution avec la modernité et que les intégristes considèrent comme l’oeuvre du démon. Un effort resté vain, jusque-là. Benoît XVI retrouvait les intégristes sur un point : l’attachement à la tradition et à ses vestiges. Il surprit ainsi jusqu’aux habitués du Vatican en remettant au goût du jour la communion à genoux et la chasuble moyenâgeuse en forme de violon. Mais son amour de la  » belle  » liturgie à l’ancienne et du latin s’enracinait d’abord dans son enfance bavaroise, rythmée par la religion et les deux messes du dimanche – l’une à 7 heures, l’autre à 9 heures – à l’église du village, avec son clocher à bulbe, ses fêtes et ses ornements. A ses yeux, la liturgie d’antan constitue la plus belle façon de rapprocher les fidèles du sacré. Mais celui qui fut expert du concile Vatican II entre 1960 et 1965 ne pouvait pas accepter qu’on déniât toute validité à ce concile, grand moment d’ouverture de l’Eglise. Contrairement à Jean-Paul II, il n’a pas favorisé les conservateurs à la curie ; en revanche, cohérent avec sa vision d’une papauté recentrée sur le spirituel, il a placé à des postes clés des membres de congrégations religieuses.

En réalité, son entêtement à ramener vers Rome les brebis galeuses de Mgr Lefebvre répondait moins à une proximité idéologique qu’à un dessein auquel il tenait particulièrement : restaurer l’unité de l’Eglise. Il y est parvenu en partie avec les orthodoxes, plus proches dans leur vision du christianisme – Kirill, patriarche de toutes les Russies, accepta le dialogue, alors que les relations étaient glaciales sous le Polonais Jean-Paul II. Il a également négocié l’intégration dans le giron romain d’un demi-millier de prêtres anglicans, choqués par l’ouverture du pastorat aux homosexuels – ils ont obtenu une prélature personnelle et la possibilité de continuer à célébrer selon leurs rites.  » Réussir la manoeuvre sans créer de tensions avec l’Eglise anglicane fut une véritable prouesse !  » commente un observateur privilégié à Rome. Mais il a échoué avec les protestants, auxquels il a envoyé plusieurs rappels à l’ordre afin de les mettre en garde contre la  » tentation de céder à la pression de la sécularisation « .

Ainsi est Benoît XVI, chef de l’Eglise catholique : subtil, mais intransigeant sur le fond. Ce fond qu’il partage avec Jean-Paul II, mais qui est mal passé auprès de l’opinion publique, car le pape allemand n’a eu aucun combat politique d’envergure à mener, à la différence de son prédécesseur, acteur clé de la chute du communisme et de la défense des droits de l’homme.

Devenu pape, Benoît XVI est resté convaincu que la parole chrétienne doit être transmise telle qu’elle avait été délivrée par les Pères de l’Eglise. Là se trouve à ses yeux la vraie nouveauté, là se trouve le  » scandale  » du message évangélique et le moyen pour l’Eglise de se faire entendre dans la cacophonie philosophico-religieuse de la modernité. Adapter le message à la société sécularisée, dans l’espoir de réveiller les vocations ? C’est ce qu’a espéré la génération des prêtres et des laïcs de Vatican II, adeptes de l’évangélisation discrète et du  » levain dans la pâte « . Mais, un demi-siècle plus tard, le déclin, loin d’avoir été enrayé, s’est accentué, selon le pontife allemand. Mieux vaut, au contraire, affirmer haut et fort l’identité catholique, avoir le courage de porter la  » contradiction prophétique  » face aux doxas de l’époque qui croient servir l’Homme, et ne font que l’aliéner davantage. Sur la contraception, Benoît XVI, pape plus subtil que ne le voulait son image médiatique, a osé ce que Jean-Paul II n’avait jamais osé : reconnaître que l' » utilisation du préservatif [pouvait] constituer un premier pas sur le chemin vers une sexualité […] plus humaine  » (Lumière du monde). En revanche, sa pureté doctrinale ne souffre aucune ouverture sur le divorce, le mariage homosexuel, la recherche sur les embryons humains… Il ne fallait pas non plus espérer de réformes au sein même de l’institution, telle que la communion pour les divorcés remariés ou le mariage des prêtres.

Le risque d’une image autoritaire et inhumaine

Ainsi, alors qu’elle prétendait servir l’Homme, l’Eglise de Benoît XVI a pris le risque de renvoyer une image autoritaire et inhumaine d’elle-même, coupée des réalités concrètes des fidèles. Valorisant les prérogatives du prêtre, au détriment de l’implication des laïcs. Préférant la morale à l' » option préférentielle des pauvres « . En Allemagne, en Autriche, des fidèles et des prêtres se sont soulevés pour exiger des changements. Mais Benoît XVI n’a pas cillé. A ses yeux, l’Eglise de demain sera faite de petites communautés de croyants fervents,  » habités  » par le christianisme comme au temps des apôtres, ne ménageant pas leur peine et leur imagination pour vivre et affirmer leur foi. Une Eglise spirituelle, avant d’être politique.

CLAIRE CHARTIER

 » Priez pour moi afin que je ne me dérobe pas, par peur, devant les loups  »

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