Bart De Wever peut-il être Premier ministre ?

Le président de la N-VA va-t-il s’enliser dans sa mission d’informateur royal ? Face à l’extrême méfiance des francophones et à des partis traditionnels flamands renforcés, le leader nationaliste joue un improbable Stratego. Mais l’homme est un rusé renard. De là à viser le 16, rue de la Loi…

Vicit Vim Virtus.  » Le courage a vaincu la violence.  » C’est avec une locution latine dont il a le secret que Bart De Wever a salué la victoire éclatante de son parti en Flandre, dimanche dernier. Aucun triomphalisme sur son visage pourtant, ni de signe d’arrogance comme lors de sa marche sur l’hôtel de ville d’Anvers, au soir des élections communales. Pas de drapeau au lion dans la foule, non plus. Une victoire toute en sobriété et en retenue. Qui préparait la suite…

 » Nous avons écrit ce soir l’histoire d’une Flandre qui choisit son propre avenir en pleine conscience « , s’est contenté de lancer le leader nationaliste. Le reste de ses propos était on ne peut plus prudent, le président de la N-VA affirmant clairement qu’il ne voulait pas de  » longue crise politique « . Et pour cause… Désigné rapidement informateur royal, le plus dur commence pour Bart De Wever. Dans un contexte périlleux. Il se lance dans un improbable jeu de Stratego, avec des arguments pour convaincre ses partenaires flamands, mais face à une extrême méfiance du côté francophone. L’expérience de 2010, quand il avait échoué dans sa mission de clarificateur, lui servira de point de référence : venu avec des demandes à ce point extravagantes, il s’était alors auto-exclu du pouvoir fédéral. Cette fois, il voudra éviter l’écueil. Pour rejeter ensuite la faute sur ceux qui lui barreront la route.

 » La stratégie de la N-VA a échoué  »

L’informateur royal le sait, sa mission sera difficile, voire cauchemardesque. La N-VA a beau avoir conquis les voix de près d’un Flamand sur trois et réalisé une spectaculaire progression en sièges au parlement régional, elle n’a pas réussi le pari d’être incontournable au nord du pays.  » Bart De Wever a manqué son rendez-vous avec l’Histoire, commente Bart Maddens, politologue à la KUL, proche du mouvement. Les nationalistes espéraient être en situation de pouvoir exiger un changement radical et un virage confédéral depuis le gouvernement flamand. Mais ce rêve s’est transformé en cauchemar.  »

Au lendemain du scrutin, les éditorialistes flamands parlaient, en choeur, d’une  » victoire à la Pyrrhus  » de la N-VA. Ample dans les chiffres, elle sera très difficile à traduire en succès lors de la formation des gouvernements. Pour trois raisons. Tout d’abord, les trois partis flamands du gouvernement Di Rupo – CD&V, Open VLD et SP.A – disposent ensemble d’une majorité, tant au parlement flamand qu’au fédéral. Traduisez : ils ne sont pas sanctionnés et peuvent jouer la continuité. Ensuite, la N-VA n’a pas obtenu les moyens de pression souhaités sur le CD&V en  » jouant  » sur sa concurrence avec l’Open VLD pour former une majorité à deux en Flandre, car une majorité N-VA-Open VLD n’est mathématiquement pas possible en Flandre. Enfin, quel parti francophone prendrait le risque de s’allier avec la N-VA après avoir exclu cette perspective durant toute la campagne, a fortiori s’il n’y est pas contraint et forcé par les chiffres ?

 » La stratégie de la N-VA a échoué, prolonge Bart Maddens. Elle espérait prendre des voix au CD&V et à l’Open VLD en menant une campagne très agressive sur le socio-économique. Mais au bout du compte, elle n’a réussi qu’à avaler le Vlaams Belang. La N-VA ne fait plus autant peur qu’en 2010.  »  » Bart De Wever a gagné un match, contre le Vlaams Belang, mais revendique désormais la victoire finale, s’indigne l’écrivain flamand Tom Lanoye, opposant notoire des nationalistes. Mais le CD&V et l’Open VLD ont progressé aussi, alors qu’ils ont pris leurs responsabilités, eux !  »

Pour Bart Maddens, une évidence : socialistes, libéraux et sociaux-démocrates attendront que Bart De Wever s’enlise dans une mission royale, avant de reprendre la main.  » Ce sera d’autant plus facile pour eux d’exclure la N-VA de tous les gouvernements que cela interviendra au moment de la Coupe du monde. Dans une atmosphère très belgicaine…  »

Un virage à droite ou un  » pacte du diable  »

Mission impossible pour l’Anversois ? Pourra-t-on le priver aussi facilement d’un triomphe incontestable sur le plan démocratique, lui, la star qui a récolté pas moins de 314 650 voix de préférence dans sa province, loin devant tous les autres ?

Le leader de la N-VA est un rusé renard. Il a appris de son échec de 2010 face au PS et rêve de revanche. Quitte à lisser stratégiquement son profil et à mettre de côté son romantisme identitaire. Reçu en premier au Palais, il revêtait une cravate classique et pas celle ornée de lions vénitiens qu’il avait choisie lors de la Joyeuse Entrée du couple royal à Anvers. Recteur à la KUL et ancien parlementaire CD&V, Rik Torfs estime qu’il faut lui donner une vraie chance de réussir, sans arrière-pensées.  » Il serait inconcevable en Flandre de faire abstraction de son résultat. On ne peut pas faire comme s’il y avait un demi-cordon sanitaire à l’égard de la N-VA. En outre, les programmes de la N-VA, du CD&V et de l’Open VLD sont très proches sur le plan socio-économique, même si le CD&V est plus social… Il est peut-être venu le moment de tenter l’aventure…  »

De Wever a entamé rapidement un tour de table pour composer une majorité en Flandre avant de prendre en main la mission royale. Tout doit aller vite, simultanément. Objectif ? S’assurer du soutien du CD&V et de l’Open VLD, imposer cette majorité à trois aux niveaux flamand et fédéral pour, ensuite, faire front face aux francophones. Sociaux-chrétiens et libéraux flamands ont déjà averti : pas question de laisser les nationalistes dominer le gouvernement flamand tout en tirant à vue sur une majorité fédérale à laquelle ils ne participeraient pas. Ce sera avec la N-VA partout, ou sans elle.  » Vu son résultat, il est légitime que Bart De Wever puisse tenter de former un gouvernement, estime Carl Devos, politologue à l’université de Gand. Oui, il dispose des stratégies pour y arriver. La plus évidente, c’est de se lier au CD&V et à l’Open VLD pour tenter de forcer un momentum avec le MR et le CDH.  » C’est le fameux  » gouvernement des droites  » dont le PS a dénoncé la probabilité durant la campagne.

La probabilité de réussite ? Elle est faible. Pour séduire les deux partenaires francophones et les convaincre de monter à bord, De Wever devra offrir des garanties en béton. Didier Reynders a déjà affirmé qu’il privilégiait un gouvernement  » de préférence sans la N-VA « . Et même si certains dans les rangs réformateurs pourraient être tentés par un gouvernement strictement socio-économique sans le PS, les circonstances ne sont pas évidentes.  » Le fait que le PS soit finalement premier dans la Région bruxelloise devant le MR enlève un argument à la N-VA « , reconnaît Carl Devos. Quant au CDH de Benoît Lutgen, en participant à un gouvernement sans le PS, il aurait pu témoigner de sa capacité à ne pas être scotché au boulevard de l’Empereur. Mais Melchior Wathelet, l’un de ceux qui aurait pu porter un tel virage, est sorti affaibli en interne de son couac dans le dossier des avions, et Francis Delpérée, chef de file humaniste au Parlement fédéral, a qualifié durant la campagne la N-VA de  » raciste « . Surtout, MR et CDH seraient largement minoritaires dans le groupe francophone de la Chambre (28 sièges sur 63).

Si la rupture de droite est impossible, Bart De Wever devrait alors se retourner vers son  » meilleur ennemi « , ce PS dont il ne cesse de dénoncer le modèle, qui peut se targuer d’être le premier parti en Wallonie et à Bruxelles, même s’il a perdu quelques plumes.  » Un pacte du diable entre la N-VA et les socialistes francophones n’est pas exclu, prolonge Carl Devos. La N-VA garantirait de ne pas mener des réformes socio-économiques trop dures au fédéral, à condition de trouver des formules pour pouvoir les mener elle-même en Flandre, en régionalisant certaines compétences. C’est un scénario auquel on a déjà assisté dans les années 1970.  » Une hypothèse peu vraisemblable, même si le PS a rapidement affirmé, par la voix d’André Flahaut, président de la Chambre, qu’il  » n’avait jamais dit qu’il refuserait de s’asseoir à la table d’un informateur royal « . Fut-il Bart De Wever…

Un homme seul face à son destin

La clé dans ce jeu de Stratego réside sans aucun doute chez Bart De Wever lui-même. Conscient du piège dans lequel il pourrait tomber, le leader nationaliste montre qu’il est conscient de ses responsabilités et évite de commettre la moindre erreur. Avant l’élection, il s’est adressé aux francophones pour les rassurer. Le soir de l’élection, il s’est dit prêt à discuter  » tous les points de son programme  » et a annoncé qu’il éviterait toute déclaration tapageuse. Comme si, sur le tard, un homme d’Etat voyait le jour devant la crainte d’être rejeté pour cinq ans dans l’opposition. Du côté francophone, surtout, nombreux sont ceux qui doutent de sa sincérité.

 » Bart De Wever pourrait décider de baisser la barre pour rassurer ses partenaires éventuels, mais ce serait un suicide politique, estime Bart Maddens. En outre, le Conseil de son parti, où toute participation à une majorité fédérale doit être approuvée aux deux tiers des voix, refuserait un programme faisant trop de concessions socio-économiques et rejetterait toute majorité avec le PS. Ce sont deux points de rupture.  »  » De Wever a montré qu’il tient son parti et qu’il peut à peu près tout lui faire accepter, tempère Carl Devos. Quand il a opté pour un virage socio-économique et la mise à l’arrière-plan du confédéralisme, aucun militant nationaliste radical n’a bronché. Là encore, s’il s’y prend bien, il pourrait leur faire accepter une montée dans la majorité fédérale. Il ne veut pas répéter l’erreur de 2010. Cette fois, ce sont les francophones qui devront démontrer en quoi ce qu’il met sur la table est inacceptable !  »

En ce qui concerne ses ambitions personnelles, Bart De Wever souffle le chaud et le froid. Il s’est déclaré  » disponible  » pour le poste de Premier ministre à quelques jours du scrutin, mais en sachant que cette perspective est peu probable : la N-VA n’a pas de parti frère au sud du pays et, en raison de ses convictions nationalistes flamandes, n’a pas de vocation à diriger le navire belge. Un informateur royal, d’ailleurs, n’a généralement pour vocation que de préparer la voie au futur formateur. Au niveau flamand, De Wever pousse à la ministre-présidence sa fidèle parmi les fidèles, Liesbeth Homans, confortée par un score exceptionnel dans l’arrondissement d’Anvers – 163 502 voix de préférence, 20 000 de plus que Kris Peeters. Il a, en outre, déjà annoncé qu’il ne serait plus candidat à la présidence de son parti.

Refuser le poste de Premier ministre pourrait, en outre, donner à Bart De Wever un argument de poids pour convaincre un partenaire. En Flandre circule déjà la possibilité qu’il permette enfin à… Didier Reynders d’accéder au 16, rue de la Loi, histoire de permettre au MR de changer son fusil d’épaule. Une rumeur parmi d’autres, pas réellement crédible, mais significative. Il est davantage probable qu’un CD&V – Kris Peeters ? Koen Geens ? – succède finalement à Elio Di Rupo. Accablé par les ennuis de santé ces derniers mois, Bart De Wever pourrait, lui, être tenté de se replier sur ses terres anversoises, une fois sa mission accomplie.  » Il n’a rien à perdre, confirment les politologues que nous avons interrogés. Son rêve, c’est de rester bourgmestre d’Anvers. Le combat qu’il mène aujourd’hui, il le fait pour son parti.  » Et pour cette Flandre à droite dont il s’est fait le héraut.

Par Olivier Mouton

La N-VA a beau avoir conquis les voix de près d’un Flamand sur trois… elle n’a pas réussi le pari d’être incontournable au nord du pays

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