Barghouti, de l’isolement à l’isoloir

Prisonnier en Israël, le dirigeant palestinien est tête de liste du Fatah aux législatives du 25 janvier. Une carte maîtresse pour contenir la poussée des islamistes du Hamas

Il aura été, tour à tour, un homme de l’ombre puis un homme à l’ombre, mais jamais son étoile n’a brillé d’un tel éclat dans le ciel orageux de la Palestine. Reclus dans sa cellule de la prison israélienne de Hadarim, près de Netanya, Marwan Barghouti détient quelques-unes des clefs du scrutin législatif convoqué le 25 janvier sur fond de chaos. Arrêté le 15 avril 2002, condamné deux ans plus tard, l’idole de la jeunesse nationaliste purge cinq peines de perpétuité pour avoir trempé dans divers attentats meurtriers, fatals à quatre Israéliens et à un moine grec. Il fut, selon ses juges, le cerveau de la seconde Intifada, soulèvement déclenché à la fin de septembre 2000, et le caïd des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, nébuleuse de phalanges armées issues du Fatah de feu Yasser Arafat, souvent autonomes, toujours indociles et parfois saisies par le vertige du terrorisme. Sur les épaules du captif repose en partie le sort de l’Autorité palestinienne, bureaucratie sans Etat ni pouvoir que menace l’essor électoral des islamistes du Hamas, ainsi que l’unité de ce fameux Fatah, miné par des guerres fratricides et dont il conduit la liste du fond de sa geôle. Le mouvement mise sur son charisme : ses affiches électorales marient le visage radieux d’une fillette coiffée d’une couronne de tournesols et les yeux farouches et charbonneux du leader embastillé.

Le long procès du  » frère combattant  » n’a terni en rien son aura. Pugnace, intarissable, celui dont les harangues enfiévraient en Cisjordanie marches et funérailles ne renonce alors à brandir ses poings menottés que pour récuser le tribunal de Tel-Aviv où il comparaît et égrener la cinquantaine de  » chefs d’inculpation  » que mérite à ses yeux l’occupant israélien. Dès lors, les élites arabes s’empressent d’élever le détenu au rang de  » Mandela palestinien « . Après tout, l’icône sud-africaine, condamnée elle aussi à la prison à vie, prôna un temps la lutte armée contre l’apartheid.

Petit, le visage rond barré d’une moustache noire, le regard vif, tantôt tourmenté tantôt goguenard, Barghouti doit son prestige à sa gouaille de fils du peuple. Il est l’antithèse des caciques repus de l’OLP, de cette  » vieille garde  » rentrée de son exil tunisois dans le sillage d’Arafat, et qui jamais ne tâta du cachot ni des matraques des soldats de Tsahal. Ses réquisitoires rageurs contre la corruption, cancer de l’Autorité, ont dopé la popularité du  » résistant de l’intérieur « . Elu député au Conseil législatif palestinien dès 1996, il élargira son audience en suggérant d’infliger à l’Autorité, tétanisée par le culte du raïs, une cure de démocratie et en dénonçant les atteintes aux droits de l’homme commises par des services de sécurité rivaux et tout-puissants. Avant d’exiger, bien plus tard et en vain, un quota de 30 % de femmes sur la liste du Fatah.

Habile, Barghouti n’est pas infaillible. Ses atermoiements lors de la présidentielle de janvier 2005 ont dérouté la base. Il annonce sa candidature, se ravise, revient dans la course face à Mahmoud Abbas puis se rallie au successeur d’Arafatà  » On a besoin d’un bâtisseur, pas d’un héros « , peste alors un activiste du camp de réfugiés de Balata, voisin de Naplouse, berceau des Brigades.

Signe du destin ? Marwan Barghouti est né à Kober, au nord de Ramallah, le 6 juin 1959, soit huit ans jour pour jour avant le déclenchement de la brève guerre de 1967, cuisant camouflet pour les armées arabes. Paysan, communiste et patriote, le père Barghouti transmet à ses enfants la flamme de la rébellion. Entre 17 et 23 ans,  » Napoléon  » – surnom que lui vaudront sa taille et sa francophilie – passe le plus clair de son temps en prison, où il apprend l’hébreu. Libéré, Marwan s’inscrit à l’université de Bir-Zeit en histoire et en sciences politiques. Là, ce lecteur assidu des Mémoires de Charles de Gaulle prépare un mémoire sur les relations franco-palestiniennes, rencontre sa future épouse, Fadwa, aujourd’hui avocate, préside l’Union des étudiants et fonde une antenne clandestine de la Chabiba, le mouvement de jeunesse du Fatah.

En 1987, retour derrière les barreaux, prélude au bannissement en Jordanie sur ordre d’un général israélien nommé Ehud Barak, commandant de la région Centre et futur Premier ministre travailliste. Très vite, le proscrit quitte Amman pour Tunis, où il rejoint la cour d’Arafat et devient, à 28 ans, le benjamin du Conseil révolutionnaire du Fatah. Le raïs au keffieh ? Barghouti respecte le symbole sans encenser l’homme. Il témoigne au  » Vieux  » une loyauté de neveu effronté et sûr de sa valeur. A l’époque, le revenant croit dur comme fer à la  » paix d’Oslo « . Fin connaisseur de la société israélienne et de ses m£urs politiques, il noue des amitiés du Meretz (gauche) au Likoud, ferraille en hébreu et en anglais avec ses  » copains  » au gré des conférences internationales et escorte ses enfants au zoo de Ramat Gan, près de Tel-Aviv. Son parcours est aussi l’histoire d’un rêve évanoui. Et la ranc£ur sera à la hauteur de l’espoir.

Négocier sans cesser de combattre : tel est le nouveau credo d’Abou al-Qassam – le patronyme traditionnel de Barghouti – désormais convaincu de la nécessité de  » militariser l’Intifada « , de recourir à la violence pour mettre fin à l’occupation et priver les islamistes du monopole de l’intransigeance. Même s’il condamne les opérations terroristes aux dépens de civils en territoire israélien. Déjà, en 1996, on l’avait aperçu aux avant-postes de sanglantes émeutes consécutives à l’ouverture, par Israël, d’un tunnel ancestral sous l’esplanade des Mosquées. Mais le vrai virage date sans doute du 14 janvier 2002, jour de la  » liquidation  » de Raed Karmi, chef des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa à Tulkarem, quelques semaines après l’entrée en vigueur d’une trêve des attentats – houdna – arrachée aux factions radicales par l’Autorité.  » Tant qu’il n’y aura pas de sécurité à Ramallah, tonne  »Napoléon », il n’y en aura pas à Tel-Aviv !  » En juin 2003, pourtant, Barghouti plaide depuis sa cellule en faveur d’une nouvelle houdna. Via l’un de ses avocats, il transmet un mémo de quatre pages à la direction en exil du Hamas, établie à Damas.

Fort de ses faits d’armes et de son image d’intégrité, Barghouti paraît le mieux à même d’endiguer la vague islamiste que laissent présager les municipales de décembre 2005. A tel point qu’il a figuré un temps, et malgré lui, en tête de deux listes estampillées Fatah. L’une, officielle, concoctée par Mahmoud Abbas et sa clique ; l’autre, dissidente, peuplée selon son v£u de quadras avides de changement. Certes, toutes deux fusionneront in extremis, mais l’apparente synthèse masque mal la déroute des notables. Loin de défier le Hamas, Barghouti prêche le consensus et ménage ses candidats,  » nos partenaires sur le terrain et au Parlement « . Pas question de passer pour l’allié d’Israël. Car, soucieux lui aussi de contenir la poussée islamiste, l’Etat hébreu table sur son illustre détenu, gratifié depuis peu d’un traitement de faveur. De là à le libérerà  » Dans cent ans, en cas de remise de peine pour bonne conduite « , ironise un ministre faucon. Il n’empêche. Quatre ténors du Likoud l’ont confié en marge d’un récent forum d’experts du renseignement : il s’agit de savoir non pas si Barghouti sera relâché, mais quand. Paru dans le quotidien Maariv voilà plus d’un an, le dessin n’a pas pris une ride. On y voit un maton seul face à son échiquier installé devant la cellule de Barghouti, d’où s’échappe cette bulle :  » Vous cherchez un partenaire ?  » l

Vincent Hugeux, avec Benjamin Barthe à Ramallah

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