Banksys en point de mire

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Accusée d’abuser de son monopole, de pratiquer des tarifs excessifs et d’imposer des obligations contractuelles draconiennes à ses clients, Banksys se défend bec et ongles. Le Conseil de la concurrence tranchera

Pouvez-vous imaginer votre vie sans Bancontact/Mister Cash ? Les courses du samedi, les achats au supermarché, les paiements aux stations-service… Les cartes bancaires sont de plus en plus utilisées pour les transactions, car les paiements électroniques sont plus rapides, plus sûrs et plus conviviaux.  » Voilà pour le côté cour, détaillé sur le site Internet de Banksys, la société qui gère les paiements électroniques dans tout le pays. Créée en 1991 sur les fondations des distributeurs de billets Mister Cash et Bancontact, l’entreprise ne compte que des banques dans son actionnariat : 46 au total. A son actif figure notamment l’invention de Proton, le porte-monnaie électronique, aujourd’hui utilisé dans une quinzaine de pays.

Côté jardin, la situation est nettement moins rose, surtout dans les rangs des commerçants. Depuis 1998, les petits indépendants et les fédérations qui les représentent mènent une véritable guérilla contre Banksys. Ils lui reprochent, en vrac, de jouir d’un monopole de fait sur le marché des paiements électroniques, d’en abuser en imposant des prix prohibitifs à leurs clients, de proposer des tarifs plus avantageux à la grande distribution qu’aux petits commerces, d’imposer des conditions drastiques dans leurs contrats, etc. Exemple : en cas de rupture anticipée du contrat de location des terminaux, conclu pour quatre ans, une indemnité équivalente à 12, 10, 8 ou 6 mois de loyer est exigée (lire l’encadré en p.23).

En 1998, une première plainte, relative à la différence de prix pratiqués chez les petits et les grands distributeurs, a été déposée par l’Union des classes moyennes (UCM) et son pendant flamand, l’Unizo, auprès de la Commission européenne, qui a finalement renvoyé l’affaire aux pouvoirs publics belges. Dès lors, à la demande du ministre fédéral de l’Economie, Charles Picqué, le dossier a été transmis au Conseil de la concurrence, dont le rapporteur a terminé son instruction au début de cette année. Entre-temps, lasse d’attendre, l’Unizo a introduit elle-même un recours contre Banksys auprès du Conseil de la concurrence, en août 2002. En février 2003, enfin, l’organisation flamande de défense des classes moyennes a déposé une énième plainte, auprès de l’Inspection économique, cette fois, pour publicité mensongère et pratiques commerciales trompeuses. L’Unizo reproche à Banksys de durcir excessivement les conditions fixées dans ses contrats par le biais d’un nouveau service de maintenance gratuite, le samedi, ce que dément formellement l’intéressé.

Acharnées, l’UCM et l’Unizo ont dû savourer les grandes lignes du rapport d’instruction fourni au Conseil de la concurrence. Le rapporteur conclut, en effet, que Banksys abuse de son monopole. Les différences de tarifs réservés à la grande distribution et aux petits commerces constituent ainsi des discriminations anticoncurrentielles. Les prix imposés par l’entreprise, comparés aux tarifs pratiqués sur le même segment de marché aux Pays-Bas, sont considérés comme excessifs. Enfin, les conditions de résiliation des contrats de location de terminaux, financièrement pénalisantes pour le commerçant tenté par un autre fournisseur, sont jugées trop sévères. Dès lors, estime le rapporteur, un éventuel rival de Banksys n’a pratiquement aucune chance de se faire une place au soleil, sur le marché belge.  » Faux, rétorque Marina De Moerlooze, responsable de la communication chez Banksys. Le marché est ouvert : celui qui le désire peut parfaitement devenir notre concurrent.  » Et de citer, pêle-mêle, 5 ou 6 noms de fournisseurs de terminaux présents sur le marché belge, dont Cardfon, CCV, Valor et Which.  » Il est vrai que nous occupons le terrain depuis vingt ans, concède Marina De Moerlooze, et que ce n’est dès lors pas facile pour les autres d’y prendre place.  » Banksys avoue d’ailleurs détenir une  » grande part du marché « , sans souhaiter en préciser l’ampleur.  » Vu leur petite taille, les autres acteurs du marché ne peuvent fournir beaucoup de commerçants « , explique Peter Haegeman, responsable du département économique à la Fedis (Fédération de la distribution). Outre les initiatives de certaines chaînes de grande distribution ou de banques européennes, qui disposent de leurs propres cartes et de leurs propres réseaux, Banksys considère enfin que son véritable rival, c’est l’argent en liquide, utilisé encore pour 70 % des paiements effectués en Belgique.

La balle est désormais dans le camp du Conseil de la concurrence, qui devrait se prononcer avant les élections.  » Ce n’est pas au ministre de l’Economie de dire qui a tort ou raison dans ce dossier « , insiste Pierre de Jemeppe, conseiller au cabinet de Charles Picqué. Dans l’aventure, Banksys risque une amende et pourrait devoir mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles qui lui seraient éventuellement reprochées.

L’entreprise doit toutefois se battre sur plusieurs fronts, car la justice a aussi été saisie par divers plaignants, dont l’Unizo et la Fédération nationale des détaillants en denrées alimentaires. Ceux-ci ont décidé de faire appel aux tribunaux après que plusieurs longues pannes du système Bancontact/MisterCash eurent durement malmené le chiffre d’affaires de petits commerçants, en avril et mai 2001. En février 2002, la cour d’appel de Bruxelles leur a d’ailleurs donné raison, évoquant clairement la situation monopolistique de Banksys et la condamnant à assurer la continuité de son service (sauf interruptions temporaires pour des raisons techniques), sous peine de devoir payer une astreinte de 200000 euros par jour.  » C’est une victoire symbolique, estime Peter Haegeman, car on peut supposer que ces astreintes, si elles sont exigées un jour, seront répercutées dans les coûts facturés aux clients. Ce que nous voulons, c’est une responsabilisation de Banksys. A ce jour, les pannes ne sont même pas évoquées dans leurs contrats.  »

Le document en question indique effectivement que  » Banksys ne contracte qu’une obligation de moyens. (…) En cas de défaillance des services faisant l’objet du contrat d’abonnement, imputable à Banksys, celle-ci ne sera en aucun cas tenue à réparer d’autres dommages que ceux qui en sont la suite immédiate et directe, à l’exclusion de tous dommages indirects tels que, notamment, la perte de clientèle, de chiffre d’affaires ou de bénéfices « . Autrement dit ?  » Banksys n’est jamais contractuellement responsable « , martèle Nancy Van Campenhout, juriste à l’Unizo. Pour se défendre, l’entreprise brandit ses propres chiffres : ses réseaux télécoms et son système informatique affichent une disponibilité de quelque 99,9 %. Et ses techniciens sont intervenus sur le terrain en moins de quatre heures, dans 97 % des cas.

Pour le moins contrariée par ce jugement de la cour d’appel de Bruxelles, Banksys a saisi la Cour de cassation, en référé. En décembre dernier, celle-ci a supprimé l’astreinte de 200000 euros et a renvoyé le dossier pour examen au fond. Ce sera le cas à partir du 20 mars prochain.

Banksys, qui se dit ouverte au dialogue, a fait un premier geste (de quelque 5 millions d’euros), en janvier 2002, en adaptant ses tarifs pour les petits commerces. Alors que ceux-ci payaient auparavant un forfait équivalent à 120 transactions, quel que soit le nombre de paiements électroniques effectués dans leur boutique, ils ne paient désormais plus que pour les transactions effectives (lire encadré). La grande distribution, elle, avait déjà bénéficié de fortes réductions de tarifs à l’époque où, en raison des nombreuses attaques perpétrées contre les fourgons de transport de fonds, diverses mesures avaient été mises en place pour favoriser les paiements électroniques.

Il n’empêche. Sans réel rival, Banksys agace, manifestement.  » Il y a peu de commerçants qui délaissent Banksys parce que le paiement électronique est devenu un service – gratuit depuis janvier 1998 – que le client juge indispensable, explique Pierre Colin, secrétaire général de l’Union des classes moyennes. Banksys rend d’ailleurs de bons services et il est normal qu’ils aient un coût. Mais il est trop élevé.  »

Laurence van Ruymbeke

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