Bande décimée?

A l’occasion du festival d’Angoulême, Le Vif/ L’Express a demandé à sept acteurs du secteur d’imaginer la BD dans vingt ou trente ans. Confronté au numérique et aux révolutions technologiques, le 9e art n’a sans doute jamais connu un tel bouleversement. Est-il menacé ? Scénarios pour le futur.

Il va falloir agrandir la bibliothèque. En tirant des plans sur la comète avec un doigt mouillé mais en suivant d’un oeil acéré la courbe de progression de la production d’albums originaux, 6 500 bandes dessinées seront publiées en 2020 – 4 109 l’ont été en 2012. Le chiffre n’est pas exact, bien sûr, si ce n’est qu’il témoigne d’une inflation constatée depuis des années dans un secteur qui se bat tous les jours entre quantitatif et qualitatif. Produire trop, c’est produire mal. Un revers de médaille qui a tout de même permis à la BD de s’afficher en grand – jusque dans les salles de ventes, où, pour des planches de Bilal ou d’Hergé, les enchères battent des records -, de consacrer de grands auteurs (Sfar, Satrapi, Larcenet, Blain, et les autres de la génération 1990-2000), et d’investir des sujets qui ont peu à voir avec le divertissement pur, ici, la mémoire des réfugiés (voir page 80), là, les guerres et l’économie, plus loin, l’écologie ou la présidentielle. Pas un sujet n’échappe aujourd’hui à un média qui a définitivement renoncé à coincer la bulle.

Oui, mais. Ce chiffre de 6 500, lancé sans doute imprudemment, pardon, est totalement faux. Car, s’il est facile de constater la progression inéluctable du nombre de nouveaux albums, l’analyse ne tient pas compte des bouleversements technologiques qui entraînent une refonte, totale ou partielle, mais en tout cas réelle, du médium.  » Le message, c’est le médium « , prophétisa Marshall McLuhan en son temps. Milou aurait pu dire la même chose.

Un objet hybride qui tiendra compte de la forme et du fond

Quid de la bande dessinée en 2030 ? Où sera-t-elle et dans quel état ?  » En 2012, la diffusion du 9e art sous forme digitale est encore marginale « , note Gilles Ratier, secrétaire général de l’Association des critiques et journalistes de bande dessinée (ACBD), dans son rapport annuel. N’empêche, se multiplient, avec plus ou moins de bonheur, les explorations  » BDinternet « , notamment Les Autres Gens, série lancée par Thomas Cadène et à laquelle participent de nombreux auteurs, ou la mise en place de la réalité augmentée, qu’utilise François Schuiten (voir ci-contre).

La BD a largement dépassé le stade du blog pour prendre en compte les possibilités du médium et le tordre à ses univers. Il n’est d’ailleurs pas sûr qu’elle y parvienne. Car le médium finira par créer un objet hybride qui tiendra compte autant de la forme (ajout de musique, de mouvements…) que du fond (approfondissement du sujet, hors le simple dessin). Certains le regrettent déjà, d’autres s’excitent à l’idée de pouvoir dessiner partout et tout le temps (voir les contributions ci-contre).

Si les évolutions de la BD sont constantes depuis l’après-guerre, elles sont endogènes : renouvellement des générations d’auteurs, mise en place d’un modèle économique, prise de conscience du lectorat… La révolution numérique est d’un autre acabit. Et l’on sent bien, dans les réponses des différents acteurs du secteur contactés par Le Vif/L’Express, que les sables sont mouvants. Qu’il faut se hâter lentement et que, la crise aidant, si l’on peut dire, la vitesse des changements est plus ou moins importante selon qu’elle est, ou non, inversement proportionnelle aux changements de vitesse. Pour parler comme Achille Talon. Qui porte bien son nom.

ERIC LIBIOT, AVEC GILLES MÉDIONI

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