Balade en imaginaire

En troquant son crayon contre la souris, le dessinateur de BD Benoît Sokal a offert au jeu vidéo ses plus beaux univers. La preuve encore, avec Syberia II, un superbe voyage à travers une Europe de l’Est fantasmée du xxe siècle

CD-ROM pour PC et Xbox. Développé par Microïds. Dist. : ABCSoft. Prix conseillé : 50 euros.

Infos : www.syberia2-game.com/syberia2/francais

En 1996, après une dizaine d’albums de l’ Inspecteur Canardo, Benoît Sokal lâche quelque peu la table à dessin pour prendre le chemin, encore peu fréquenté, du jeu vidéo. Après trois ans de travail rondement mené par une petite équipe dans  » les caves de Casterman « , il sort l’ Amerzone. Dans la lignée des Myst et autres Riven, le jeu d’aventure û qui voit le joueur partir en Amérique du Sud à la recherche de mystérieux oiseaux blancs û, est un succès. Décors réalistes et léchés, ambiance sonore colorée, univers cohérent et riche… Sokal réussit à panacher sa création de tous les éléments nécessaires au plaisir du jeu. Sans oublier un scénario à rebondissements, digne de ses meilleures BD. L’accueil réservé à l’ Amerzone et le plaisir évident qu’il a pris à le réaliser poussent le dessinateur à prolonger l’aventure.  » Comme la BD, le jeu vidéo devient un véritable moyen d’expression pour les artistes. Si j’ai découvert les possibilités offertes par le jeu vidéo en parcourant les îles de Myst, j’ai surtout adhéré aux images de synthèse le jour où j’ai cru aux dinosaures de Jurassic Park, le jour où je me suis vu sur le pont du Titanic. La BD m’a passionné durant de longues années… Et puis, j’ai voulu voir d’autres horizons. Le jeu vidéo est donc devenu une nouvelle étape de ma vie. J’aime le travail en équipe. L’élaboration d’un jeu, c’est vraiment un boulot de collaboration entre plusieurs spécialistes. La création d’une BD reste un travail solitaire, dans lequel on peut très rapidement virer neurasthénique « , sourit Sokal.

Succès annoncé

En 2001, en collaboration avec l’éditeur canadien Microïds, le dessinateur bruxellois se lance dans Syberia, une aventure onirique qui voit Kate Walker, une avocate new-yorkaise, partir à la découverte d’un petit village perdu au fond d’une vallée alpine.  » Ce récit m’a permis d’élaborer un univers dans lequel j’ai pu revisiter graphiquement l’histoire du xxe siècle. Si j’ai pris pas mal de liberté avec la réalité, je suis resté attaché à une histoire vraisemblable que l’on peut situer quelque part au fin fond de la Sibérie après la chute du Mur. « Toujours en  » point and click  » (on déplace son personnage et on interagit avec les éléments de l’histoire en cliquant sur l’écran), le nouveau titre se révèle graphiquement exceptionnel et propose une intrigue riche en rebondissements. Avec 9 000 exemplaires écoulés en Belgique et plus de 450 000 titres vendus dans le monde, Syberia est un nouveau succès.

Syberia II, le second volet des aventures de Kate Walker sorti début mai, devrait prendre la même direction. Comme pour le premier épisode, l’équipe de développement est canadienne.  » Avec les aides d’Etat accordés au secteur du jeu vidéo, explique Sokal, la production d’un titre est en moyenne 30 % moins chère au Canada qu’en France ou en Belgique. Sur un titre comme Syberia II, qui a occupé une quarantaine de personnes pendant deux ans, l’économie est importante. C’est un jeu qui a quand même coûté 2 millions d’euros.  » Pourtant, les avancées techniques ne sautent pas aux yeux. Sans trop de surprises, on retrouve tous les ingrédients du premier épisode : des décors de rêve pour une aventure dense parsemée d’énigme relativement facile à résoudre.  » Je n’aime pas les casse-tête trop compliqués, se défend Sokal. Ils arrêtent la progression du joueur et rompent l’ambiance du jeu. Je reconnais que les nouveautés techno- logiques ne sont pas légion dans Syberia II. Nous avons plutôt travaillé sur de nombreux petits détails comme la finesse des images, le rendu de la neige ou la justesse des ombres. Tout cela pour obtenir des images les plus réalistes possible afin d’immerger au maximum le joueur dans notre histoire. Il ne faut pas tout miser sur la technique. Je suis plutôt un adepte des jeux très scénarisés dans lesquels, tout en lui laissant une certaine liberté, je dirige le joueur pour lui raconter une histoire. Tout le monde a besoin qu’on lui raconte une histoire…  »

Séparer la création de l’édition

Dès le départ, l’histoire de Syberia avait été programmée pour sortir en deux épisodes. On peut donc difficilement taxer Sokal d’avoir profité du succès du premier opus pour nous sortir une suite. N’empêche, on perçoit moins la patte de l’auteur dans cette deuxième partie. Un peu comme si l’éditeur avait réduit sensiblement la marge de man£uvre du dessinateur. Une analyse balayée par Sokal qui ne cache toutefois pas que ses prochaines créations seront développées par White Birds Production, une société montée avec quelques associés.  » Avec White Birds Production, nous essaierons d’optimiser les moyens de la création, histoire de casser la logique industrielle. Pour faire progresser le jeu informatique, il faut séparer la création de l’édition. Lost Paradise, le premier titre de White Birds Production, sera encore un jeu d’aventure classique dont la trame principale se déroule en Afrique. Une sorte de Tintin auCongo revisité. Le projet suivant, Aquarica, sera entièrement réalisé en 3D, en collaboration avec François Schuiten. Il devrait proposer une histoire racontée de manière différente sur des supports différents afin de toucher des publics différents.  » Différents, mais probablement passionnants. Comme tout ce que Sokal nous a proposé jusqu’ici sur nos écrans. Vincent Genot

Une rubrique de Vincent Genot

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