Aubry Pas com’ les autres

La nouvelle candidate à l’élection présidentielle de 2012 se singularise face à ses concurrents du PS : elle fuit les micros et n’aime pas réagir à chaud. Voilà une dirigeante politique qui revendique une communication à l’ancienne et un rapport atypique à l’opinion. Au risque de ne pas toujours être audible.

Cela s’appelle l’obstination. Depuis des mois, Martine Aubry promettait de ne pas rendre publique sa décision avant le 28 juin et l’ouverture des candidatures pour la primaire. Malgré les événements inimaginables de New York, malgré l’impatience des camarades, malgré la presse qui la harcelait, elle a tenu bon. Et s’en félicite.  » En me comportant comme cela depuis trois ans, sans céder aux pressions, je crois que je nous donne beaucoup de chances de gagner « , martèle la socialiste.

Martine Aubry est un ovni dans le paysage politique. Lorsqu’elle n’a pas planifié longtemps à l’avance de s’exprimer, la socialiste se cadenasse dans un mutisme à double tour. Sa philosophie tient dans un drôle de précepte :  » Je suis dans ce que je suis au moment où je suis.  » Sous-entendu : je vais à mon rythme. C’est une question de principe.  » Elle déteste parler quand elle n’est pas sûre de ce qu’elle veut dire « , explique le député Olivier Dussopt. A mille lieues de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal, enfants de la télévision biberonnés aux joutes cathodiques, la maire de Lille veut incarner un dialogue avec les Français, qui ne ferait pas de concessions à l’air du temps. Pas de réactions à chaud, donc. Ni de petites phrases.

Ce 22 juin, elle se rend au centre culturel le CentQuatre, à Paris, pour l’exposition sur la création numérique intitulée  » Et vous, le futur, vous le voyez comment ?  » Un thème d’actualitéà La vedette du jour feint de s’émerveiller devant une paire de lunettes électroniques, assiste, amusée, au bal d’un robot japonais qui se dodeline au milieu de vraies danseuses. A la fin de la visite, elle fait une courte déclaration à la presse sur la nécessité de trouver un mode de rémunération adéquat pour la création en ligne. A une semaine de sa candidature, elle est venue parler de numérique. Et rien d’autre. Un journaliste l’interroge sur le nom de celui qui assurera l’intérim à la tête du PS, une fois la candidature de la première secrétaire annoncée.  » Demandez donc au robot japonais « , esquive-t-elle en tournant les talons.

Elle retient ses coups

La première secrétaire ne profitera donc pas des micros ouverts pour évoquer les sujets du moment, comme la réforme de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF), la remise en question de la binationalité, le gaz de schiste ou l’offensive de l’UMP sur la primaire socialiste. Le lendemain, du coup, les quotidiens ne rendent pas compte de son voyage vers le futur. Pas plus qu’ils n’avaient évoqué sa promenade, deux jours auparavant, au Salon aéronautique du Bourget. Telle une joueuse qui refuserait d’abattre ses cartes, Aubry retient ses coups. Au siège du PS, on a commandé des enquêtes sur le  » bruit médiatique  » de la première secrétaire, histoire de quantifier l’écho de ses déclarations dans l’opinion publique. Comme le confie un conseiller, dans une litote :  » Martine a un bruit moyen. « 

 » Elle a raison de ne pas se galvauder dans la course aux médias, usante et étouffante, analyse le consultant Philippe Guibert, professeur au Celsa, à l’université de Paris-Sorbonne. Si on croit les enquêtes, les Français la créditent de ne pas être dans la recherche du coup médiatique permanent, ce qui est positif. Elle apparaît, toutefois, technocrate. Elle n’a pas su créer de relation particulière à l’opinion publique.  » Quand elle prend la parole, son argumentation gambade, de la crise européenne au G 20, en passant par les paradis fiscaux, Nicolas Sarkozy, les rythmes scolaires ou le bouclier fiscal. Convaincre, à tout prix, accumuler les éléments, quitte à délayer et embrouiller son auditoire.

A la télévision, où il n’y a point de salut sans concision, les audiences flanchent à chacun de ses passages. Le 16 juin, près de 900 000 téléspectateurs désertent la chaîne lors de Parole directe, sur TF 1, même si l’invitée se rattrape bien en fin d’émission (voir l’infographie ci-dessous). En novembre 2010, avec 6,1 millions de téléspectateurs au moment de son interview dans le journal télévisé d’Harry Roselmack sur TF1, Aubry enregistre l’une des plus faibles audiences. Ses amis minimisent :  » La primaire se jouera sur la densité, l’épaisseur de la fonction, arguent-ils. Elle se place dans une démarche mitterrandienne, elle cherche à imposer son agenda.  »

Mais, en privé, ils l’abreuvent de conseils, pas toujours bien reçus –  » Je vous emmerde, je suis moi-même « , leur répond-elle parfois (1). Il y a ceux qui l’encouragent à professionnaliser sa communication (Benoît Hamon), ceux qui la supplient de lire ses discours à la lettre au lieu d’improviser, ce qu’elle commence à faire. Laurent Fabius lui a suggéré d’utiliser un prompteur pour ses allocutions publiques. Elle n’a pas dit non. Son ami le publicitaire Claude Posternak, rare fidèle qu’elle écoute vraiment, est de plus en plus souvent présent au siège du PS.

Pendant ce temps, ses rivaux s’époumonent allègrement. François Hollande, Ségolène Royal, Manuel Valls ou Arnaud Montebourg sonnent la charge.  » Hollande a travaillé son réseau de journalistes depuis vingt ans, il est doté d’une redoutable force de frappe pour faire passer ses messages « , note un parlementaire inquiet, lors d’une réunion des soutiens d’Aubry à l’Assemblée nationale, en juin. Un vrai sujet de préoccupation, car leur championne, à l’inverse, est une écorchée vive des médias.

Elle déteste la pression des caméras, trouve les questions des reporters superficielles, abhorre le culte du buzz et l’avalanche des polémiques. L’un de ses pires souvenirs ? Un déplacement, le 16 février dernier, sur la crise du logement à Clamart (Hauts-de-Seine, près de Paris). Il y avait foule. Un car entier de journalistes. Ce jour-là, elle veut parler blocage des loyers à la relocation. Les rafales de questions ne portent que sur la démission imminente de Michèle Alliot-Marie ! La chef de l’opposition voit rouge quand on lui rappelle les bisbilles internes au PS ou qu’elle est interrogée sur ses rapports avec Ségolène Royal et DSK. Et le fait savoir.

A Dakar (Sénégal), elle égratigne l’envoyé spécial de RTL, qui avait eu l’impudence de vouloir lui faire commenter la petite phrase d’Anne Sinclair laissant entrevoir un retour imminent de son mari sur la scène française :  » Vous êtes givré, allongez-vous, vous devriez faire une thérapie.  » A La Rochelle, en août 2010, elle se tourne vers son mari, lors d’un cocktail, et lui glisse :  » Ne parle pas à ce monsieur.  » Le  » monsieur  » en question, qui se tenait à ses côtés, n’était autre que le journaliste David Revault d’Allonnes. Il venait de publier Petits Meurtres entre camarades (Robert Laffont), un ouvrage relatant les combinaisons au c£ur de l’appareil. Même les Unes anti-Sarkozy de Marianne la choquent, par leur tonalité et leur véhémence.

Avec les photographes, c’est carrément le jeu du chat et de la souris. Le 9 avril se tient un conseil national du PS à la Villette, à Paris. Flanquée de son équipe, Aubry descend un escalier mécanique, quand elle tombe nez à nez avec une haie de caméras. Ni une, ni deux, la dirigeante du PS tente de passer derrière une bâche pour contourner la meute à ses trousses. Mais le chemin de traverse ne mène nulle part. Elle finit par revenir sur ses pas, écartant les perches du bras.  » Ah, elles sont intéressantes, vos photos « , grommelle-t-elle.

 » Les photographes voteront tous pour Hollande : avec lui, on peut faire ce qu’on veut ou presque « , ironise l’un d’entre eux. A commencer par choisir ses angles. Un journaliste raconte que le service d’ordre du PS fait tout pour l’empêcher de prendre des clichés de profil de la première secrétaire – la direction assure n’avoir jamais passé de telles consignes.  » Elle essaie de se montrer plus câline à l’approche de la primaire, s’amuse un membre de la direction. Elle est en progrès ! « 

Souvenir traumatisant

Martine Aubry l’a confié à Isabelle Giordano :  » Depuis que je ne lis plus la presse, je me porte beaucoup mieux.  » (2) Sa réticence à jouer le jeu des médias remonte à sa traversée du désert, au début des années 2000, et à la publication de La Dame des 35 heures, de Philippe Alexandre et Béatrix de L’Aulnoit (Robert Laffont, 2002), dont elle garde un souvenir traumatisant. Elle tâche d’en faire un atout, en se posant en Merkel de gauche : à défaut d’être charismatique, tenter d’être crédible et efficace économiquement.  » Elle s’est bâti une authenticité en répétant qu’elle ne s’occupe que du fond, du projet du PS, décrypte le député Guillaume Garot, fidèle de Ségolène Royal. A ce niveau, rien n’est laissé au hasard.  » Martine Aubry n’a pas une communication comme les autres – cela ne veut pas dire qu’elle ne se construit pas une image.

(1) 2 Aubry. Les secrets d’une ambition, de Marion Mourgue

et Rosalie Lucas (L’Archipel, 2011).

(2) 2 Martine. Le destin ou la vie, d’Isabelle Giordano (Grasset, 2011).

MARCELO WESFREID

Elle trouve les questions des reporters superficielles et abhorre le culte du buzz

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