Au tréfonds de l’homme

Patrick Declerck, qui avait vécu et décrit la vie des SDF, scrute, cette fois, la société entière. Un regard à vif et désenchanté

Garanti sans moraline, par Patrick Declerck. Flammarion, 255 p.

(1) Plon/Terre humaine, 2001.

A mon chienà  » La dédicace donne le ton. D’emblée, le recueil de nouvelles de Patrick Declerck malmène le genre humain. Pourtant, c’est son rayon. Anthropologue, philosophe, psychanalyste pour Médecins du monde, ce Bruxellois a écouté pendant quinze ans les clochards au centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre, allant jusqu’à vivre parmi eux. De ce voyage au bout de la nuit est né, en 2001, Les Naufragés (1), un livre devenu référence sur la désocialisation de cette population. Ni dieu ni maître, à 50 ans, l’auteur cite volontiers Nietzsche :  » Pour voir une chose entièrement, il faut la voir avec deux yeux, celui de l’amour et celui de la haine.  » C’est avec ce regard û un léger strabisme divergeant vers la cruauté û qu’il vient de concocter dix textes et un poème d’une force impitoyable. Cette fois, ni déshérités ni SDF. Avec Garanti sans moraline û la formule vient de Nietzsche, autrement dit esprits sensibles s’abstenir ! û Patrick Declerck passe des bas-fonds au tréfonds de l’âme humaine, jetant en pâture les travers de la société contemporaine. La religion, l’éducation, la démocratie, la (non) conscience de soi, l’amour, autant d’illusions dézinguées par ce pourfendeur de bons sentiments et de langue de bois.  » Le fait religieux est universel. Comme le sont le viol, l’inceste et la guerre « , énonce l’un de ses personnages les plus réussis. Commandant d’un Kulturkampf dans une Allemagne redevenue totalitaire, ce tortionnaire rééduque les ignorants malgré eux. Comment un cochon devint végétarien conte la visite d’un porc aux abattoirs humains. Attendri par le  » porcomorphisme  » des victimes, il s’interroge :  » Si les savants se trompaient et que les hommes étaient tout de même capables d’une sorte de pensée ? Quelle vertigineuse horreur alors. Et que de crimes.  » Défilent encore un médecin misanthrope à qui un tueur réclame une raison valable de l’épargner, un vieillard dont l’ultime journée n’en finit plus, un f£tus qui achève de naître noyé dans les toilettes d’une gare londonienneà

Accrocher les tripes du lecteur et les cisailler sans relâche, telle est la méthode de Declerck. Mais, loin de capituler devant cette vision désenchantée, on est happé par tant de lucidité.

Nathalie Riché

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