» Au-delà du bug électronique, un bug représentatif « 

Le couac technologique des élections était-il inévitable ? Qui est responsable ? Peut-on revenir au vote papier ? La controverse risque-t-elle de se communautariser ? L’avis d’une experte.

Le Vif/L’Express : Le bug de ces élections sonne-t-il le glas du vote électronique en Belgique ?

Anne-Emmanuelle Bourgaux, professeur à l’ULB et à l’U-Mons : C’est vrai que, du côté francophone, beaucoup de voix politiques ont remis en cause le vote électronique de manière virulente, dès le soir du 25 mai. Cette virulence s’explique aussi par le fait que le bug a porté sur le dépouillement et surtout sur le comptage des voix de préférence. Or quoi de plus important pour un candidat que les voix de préférence ? Mais si, après ce scrutin, les francophones s’accordent pour abandonner le vote électronique, ils se heurteront, au niveau fédéral, aux Flamands qui restent très convaincus par le système automatisé.

Le système flamand, plus moderne, est-il plus fiable ?

S’il a bien fonctionné en 2014, il ne faut pas le porter aux nues pour autant. Il a posé pas mal de problèmes lors des élections de 2012, notamment au niveau de la sensibilité des écrans. Le système flamand, qui permet à l’électeur de recevoir une preuve papier de son vote, suppose aussi davantage de matériel électronique, comme les imprimantes, donc davantage de risques de bug.

Ici, c’est à Bruxelles et en Wallonie que cela a coincé. La problématique du vote électronique pourrait-elle se communautariser ?

C’est déjà fait ! Il suffit de regarder la carte des bureaux de vote électronique. Ils se trouvent majoritairement en Flandre, où ils sont équipés du nouveau système. En Wallonie et à Bruxelles, la controverse a fait qu’on n’a pas investi dans un nouveau système, sauf dans deux communes bruxelloises. Mais on n’y a pas non plus abandonné le vote électronique. On a choisi la pire des solutions : continuer avec du matériel et des logiciels qui datent de 1994 et de 1998. Ce système qui a dysfonctionné le 25 mai a été déclaré, dès 2007, incompatible avec les normes du droit international par l’étude be-voting qui réunissait la plupart des universités du pays… Or on n’a rien changé.

Pourquoi ?

Au-delà du bug électronique, il y a un bug représentatif. Les gouvernements fédéraux puis régionaux successifs ont toujours traité ce dossier dans l’urgence des élections, fréquentes en Belgique, tout en permettant la mainmise des firmes privées. Et les choix technologiques ont été arbitrés en dehors des parlements.

N’y a-t-il pas aussi une responsabilité des sociétés d’audit, comme PricewaterhouseCoopers, qui ont avalisé les logiciels pour le gouvernement ?

Absolument. Il faut d’ailleurs dénoncer, ici, une situation absurde. On a donc prévu qu’un tiers indépendant, à savoir une société d’audit, contrôle les sociétés privées avec lesquelles le gouvernement sous-traite pour le vote électronique. Mais, pour faire des économies de bouts de chandelle, le coût de l’intervention de la société d’audit est supporté par la firme qui fournit le logiciel. Le contrôleur est donc rétribué par le contrôlé. Cela pose, à l’évidence, un problème d’indépendance et d’effectivité du contrôle, que les collèges d’experts, chargés de surveiller le déroulement du vote électronique, ont déjà soulevé dans leurs rapports avec des exemples concrets.

Le ministère de l’Intérieur avait-il suffisamment préparé le terrain pour le vote électronique ?

Apparemment pas. Il y a eu un manque de précaution. Un constat suffit : les arrêtés ministériels, qui ont agréé les applications informatiques ayant dysfonctionné le jour des élections, ont été publiés le 19 mai, soit cinq jours avant le scrutin. D’habitude, ces arrêtés sont publiés fort tard, mais jamais aussi tard que cette fois-ci. Cela sent la précipitation.

Chercheuse au Centre de droit public de l’ULB, Anne-Emmanuelle Bourgaux s’intéresse depuis longtemps au thème du vote électronique.

Retrouvez l’intégralité de l’entretien sur levif.be

Entretien : Thierry Denoël

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