Au-delà des apparences

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Atom Egoyan nous plonge dans une sombre affaire, par-delà les illusions télévisuelles, dans le sulfureux et assez fascinant Where the Truth Lies

Nous sommes en 1959 et le duo Lanny Morris/ Vince Collins a l’Amérique à ses pieds. Personne ne fait autant rire le public que ce tandem comique idéalement assorti, qui sait également émouvoir des millions de téléspectateurs quand vient l’heure des  » téléthons « , où Lanny et Vince se révèlent plus performants que jamais. Un soir pourtant, dans la suite luxueuse que les partenaires occupent, un drame va se jouer. Une très jeune femme sera retrouvée morte, et le scandale sera évité de justesse grâce à un bon alibi. Mais l’ombre de cette sale affaire ternira l’image du duo et causera sa séparation. Une quinzaine d’années plus tard, la curiosité d’une journaliste replongera Vince et Lanny dans un passé qui devait tôt ou tard revenir les hanter…

 » Depuis toujours, l’idée d’un drame se jouant dans le milieu du spectacle et impliquant des célébrités me fascinait « , explique Atom Egoyan, le sensible et brillant réalisateur canadien d’ Exotica, The Adjuster et De beaux lendemains. Lorsqu’il découvrit Where the Truth Lies, le roman de Rupert Holmes, le cinéaste fut frappé  » par la richesse des détails autant que par le thème central : comment les personnages s’efforcent de créer, construire et contrôler des récits de leur existence, selon un agenda différent pour chacun et dont les implications déterminent des versions différentes, voire opposées, des mêmes événements…  »

Egoyan ne tarda pas à acquérir les droits d’adaptation du livre et à entamer l’écriture d’un scénario touffu, complexe, riche de plusieurs niveaux de lecture et offrant un matériau puissant tant sur le plan narratif que sur celui de l’émotion et de la réflexion.

Collision de sphères

 » Chaque société a ses dieux et la nôtre a élu les célébrités, dont la vie nous est présentée sur un plan plus élevé que celui de notre quotidien, et dont nous observons les drames avec fascination « , commente le réalisateur pour lequel  » un téléthon représente un lieu dramatique unique, avec sa durée de trois jours et cette foule de regards tous dirigés sur quelques personnages connus qui mettent en scène leur générosité et la nôtre « . L’idée de situer au c£ur de cet événement la mort violente d’une femme et le mystère qu’elle déclenche,  » avec la suggestion que les héros du moment pourraient en être les coupables « , a captivé Egoyan comme elle nous captive aujourd’hui dans son film.  » La collision soudaine de la sphère la plus publique avec la sphère la plus intime est une chose qui me passionne « , poursuit le cinéaste qui s’est plu à jouer la carte du suspense, le jeu du thriller à rebondissements et révélation finale, mais sur un mode personnel qui fait échapper son film aux formules paresseuses du tout-venant hollywoodien.

Le choix remarquable de Colin Firth (Vince Collins) et Kevin Bacon (Lanny Morris) pour camper les personnages aussi centraux que fuyants assure à Where the Truth Lies une dimension de divertissement assumé, les deux comédiens prenant un plaisir éminemment communicatif à décliner les humeurs volontiers contrastées de vedettes au masque de drôlerie mais aux failles béantes sous le maquillage de légèreté complice. La mise en scène d’Atom Egoyan trahit par endroits un certain malaise à conjuguer la recréation d’époques (les fifties, puis les seventies), la tension du suspense criminel et la distance subtile sans laquelle son cinéma ne saurait exister. Mais si les sommets de The Adjuster, Calendars et Exotica sont loin d’être approchés par son nouveau film, le cinéaste de Toronto n’en séduit pas moins avec une £uvre dense et pénétrante, entre énigme et révélation, faute et pardon, surface glamour et sombres abîmes.

Louis Danvers

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