Armes secrètes pour enquêteurs pressés

Les méthodes particulières de recherche sont au cour d’un projet de loi qui doit être voté avant le 31 décembre prochain. Sinon, les policiers seraient privés d’informations utiles à la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité

Le Parlement revit en accéléré les débats qui avaient précédé l’adoption, en 2003, de la loi sur les méthodes particulières de recherche. Celle-ci avait été initiée dès 2001 par le ministre de la Justice, Marc Verwilghen (VLD), avec le concours de Johan Delmul, un magistrat du parquet de Gand aujourd’hui passé au parquet fédéral, où il est en charge des dossiers de terrorisme. Sans conteste, les attentats de New York, de Madrid et de Londres ont apporté de l’eau au moulin de Delmul. Sans renseignements, pas de police efficace. Et sans procès équitable, pas de justice efficace. Ce qui, en définitive, est l’essentiel.

Certains excès de la loi du 6 janvier 2003 dénoncés par la Ligue des droits de l’homme, la Liga voor Mensenrechten et le Syndicat des avocats pour la démocratie avaient conduit la Cour d’arbitrage à en annuler une partie et à en critiquer d’autres, dans son arrêt du 21 décembre 2004. La cour constitutionnelle avait donné à la ministre de la Justice, Laurette Onkelinx (PS), un délai – moins d’un an – pour la corriger. D’où la détestable impression d’urgence qui entoure un débat parlementaire tardif, sous haute pression. Même le Conseil d’Etat a été obligé de se prononcer en cinq jours ! L’obsession de la date butoir du 31 décembre est donc explicable : sans loi de réparation, des opérations d’observation et d’infiltration tombent à l’eau ! On ne pouvait imaginer une discussion plus mal embarquée. Dès lors, de nouveaux recours en annulation devant la Cour d’arbitrage sont à prévoir, tant les critiques des avocats, des journalistes, des magistrats et des parlementaires – jusqu’au c£ur même du PS – sont nombreuses.

Le malaise provient du fait que le projet de loi en question ne se limite pas à réparer la loi partiellement annulée par la Cour d’arbitrage. De fait, Laurette Onkelinx a profité de l’occasion pour introduire des éléments nouveaux, dictés par les nécessités de la lutte antiterroriste et de l’expérience de terrain.

Les méthodes particulières de recherche (MPR) recouvrent trois techniques vieilles comme la police : l’infiltration, le recours à des indicateurs et l’observation (contrôle visuel discret, écoutes directes, obtentions des comptes et des transactions bancaires). Ces techniques ne peuvent s’appliquer que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la criminalité grave et organisée, à laquelle la ministre de la Justice a ajouté la recherche de condamnés en fuite, en fonction d’un critère de dangerosité laissé à l’appréciation des magistrats.

Les indics

L’infiltration désigne l’immersion d’un fonctionnaire de police doté d’une identité fictive dans un milieu à fort potentiel criminel ou terroriste. Si lui ou son  » expert civil  » commettent une infraction, ils bénéficieront d’une  » cause d’excuse absolutoire « . Autrement dit, ils ne seront pas punis. Le projet de loi Onkelinx innove. Il permet à des indicateurs de police de commettre des infractions en vue de maintenir leur position et leur qualité d’indicateur, mais sans leur promettre l’absolution automatique. L’ordre des barreaux francophones et germanophone (OBFG) aurait souhaité que soit précisé le caractère ultime de cette mesure dangereuse pour la moralité des institutions et la sécurité des victimes éventuelles de l’infraction  » autorisée « .

Mais c’est l’observation qui suscite les réactions les plus vives, notamment pour le contrôle visuel discret au domicile d’une personne. Y pénétrer sans rien y emporter, à l’insu de son propriétaire, pour inspecter les lieux en vue, par exemple, d’une perquisition ou pour y placer des micros et des caméras de surveillance ne pourra plus s’effectuer que dans le cadre d’une instruction confiée à un juge indépendant instruisant à charge et à décharge, et non plus dans le cadre d’une procédure hybride (la  » mini-instruction « ) placée sous la responsabilité du parquet, relevant, lui, du pouvoir exécutif. En revanche, le parquet pourra lancer seul un contrôle visuel discret dans un  » lieu privé  » à l’exception des cabinets ou résidences des avocats et médecins, soumis à l’intervention d’un juge d’instruction.

Quant aux journalistes, auxquels la loi du 30 avril 2005 garantit la protection des sources, la ministre assure qu’ils bénéficieront en pratique de la même protection que les médecins et les avocats. Il existe, en effet, une jurisprudence de la Cour de cassation qui assimile au domicile les espaces professionnels où se trouve une correspondance confidentielle. Mais le projet de loi Onkelinx ne le prévoit pas explicitement, ce qui, s’insurge l’Association générale des journalistes professionnels de Belgique (AGJPB),  » vide de sa substance la loi sur la protection des sources journalistiques.  » D’après la ministre, il faut entendre par  » lieux privés  » les box de garage ou encore, les conteneurs du port d’Anvers, plaque tournante du trafic international de la drogue.

 » Dossiers confidentiels  »

Autre nouveauté : les contrôles visuels discrets, qu’ils soient commandés par le juge d’instruction (domicile) ou par le parquet (lieux privés), pourront s’effectuer de nuit pour des raisons évidentes d’efficacité et de sécurité des fonctionnaires de police chargés de s’introduire dans une habitation. L’analogie avec la perquisition, qui ne peut avoir lieu entre 21 heures et 5 heures du matin, n’a pas été retenue.

Les parlementaires ont également été titillés par la permission accordée aux policiers de prendre de leur propre initiative des photos de suspects dans un lieu public cinq jours d’affilée ou cinq fois séparément pendant un mois. Si leur collecte d’images est pertinente pour l’enquête, elle sera glissée dans le dossier répressif, accessible aux avocats. Si l’observation doit se poursuivre au-delà de cinq jours par mois, elle nécessitera l’autorisation d’un magistrat. La technique plus lourde et plus intrusive qui consiste à photographier ou à filmer, avec un matériel adapté, ce qui se passe dans une habitation ne peut, elle, être décidée que par un juge d’instruction.  » L’homme le plus puissant de France « , disait Napoléon… La nouvelle loi permet de le spécialiser dans les affaires de terrorisme et instaure le cotitulariat, c’est-à-dire la possibilité de désigner deux juges pour un même dossier : un remède contre la solitude et la personnalisation inhérente à cette fonction sensible.

Ce rôle décisif du juge d’instruction a été reconnu par la Cour d’arbitrage. Elle a crossé sévèrement les auteurs de la loi de 2003 parce que les  » dossiers confidentiels  » de l’observation et de l’infiltration, soustraits du dossier répressif et, donc, de la vue des avocats et des juges, n’étaient pas contrôlés par une instance indépendante. On imagine bien que la vie des indicateurs ou des témoins anonymes pourrait être mise en danger par la publicité intempestive du rôle qu’ils ont joué dans une arrestation. Personne ne conteste cette protection. Mais d’autres éléments sont mis dans le  » dossier confidentiel  » : le détail technique des méthodes utilisées pour observer le suspect, à quel endroit la caméra a été placée, la période de l’observation…  » D’accord pour ne pas situer exactement les dates, qui risqueraient de désigner un indicateur, mais la période d’observation, pourquoi pas ?  » s’interrogent certains. Elle peut fournir des moyens utiles à la défense.  » Beaucoup d’avocats fantasment sur ce dossier confidentiel, rétorque la ministre. Il est fort mince et ne contient pas d’éléments de preuve qui ne soit porté à la connaissance des parties.  » Avec la nouvelle loi, le contrôle du  » dossier confidentiel » sera assuré par la chambre des mises en accusation, composée de trois conseillers de la cour d’appel dotés de pouvoirs étendus. Ceux-ci pourront entendre les magistrats et les officiers de police ayant mis ces méthodes en £uvre et, même, assister à l’audition par un juge d’instruction des policiers impliqués directement dans ces techniques. Sur le papier, ces garanties ont tout du montage solide. Seront-elles applicables au  » temps  » accéléré de la police et du parquet, qui n’est pas celui des juges ?

Marie-Cécile Royen

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