Aristide, tombé comme un fruit mûr

Débarrassé du dictateur, Haïti est à reconstruire entièrement. Pour ce faire, la rébellion armée et l’opposition démocratique sont obligées de s’entendre

Je ne quitterai le palais qu’au terme de mon mandat, le 7 février 2006, car j’ai été démocratiquement élu « , répétait Jean-Bertrand Aristide, quelques heures avant son éviction. Jusqu’au dernier moment, le dictateur haïtien se sera cramponné au fauteuil présidentiel. La dernière image qu’il laisse est celle d’un tyran aveugle, obnubilé par le pouvoir et faisant fi d’une population qui ne voulait plus de lui depuis longtemps. Est-ce l’entrée imminente des rebelles armés dans Port-au-Prince, la capitale, qui l’a finalement convaincu de démissionner ? Aristide affirme le contraire. Selon lui, des militaires américains l’ont forcé manu militari à quitter le pays. Le scénario est probable.  » Ce type était un criminel qui faisait le mal partout. Il fallait qu’il s’en aille, peu importe la manière « , estime pour sa part Jean Métellus. Ecrivain et médecin, il s’est réfugié sur le sol français en 1959, quand Haïti était sous la coupe d’une autre dictature, celle de François Duvalier. Depuis, il n’a jamais renié sa terre natale.  » Dès que je pourrai y vivre, j’y retournerai. Mais je ne veux pas prendre le risque de retourner tout de suite.  » Ce ne serait pas la première fois, hélas, que la promesse de lendemains heureux se transforme en mirage.

Première nation indépendante d’Amérique latine, Haïti est marquée par une histoire tragique. En 200 ans d’existence, le pays a collectionné tyrannies, coups d’Etat et tumultes en tous genres. Plus d’une fois, le peuple s’est trouvé trahi par de prétendus héros auxquels il avait accordé sa confiance. Le dernier en date fut Jean-Bertrand Aristide lui-même. Elu triomphalement en 1990, puis une première fois renversé, il a été remis en selle par les Etats-Unis en 1994.  » Il avait une double vertu : il était religieux et venait d’un milieu pauvre, note Jean Métellus. Je croyais qu’il aurait donc une soif de justice sociale et beaucoup de scrupules dans l’exercice du pouvoir. Il nous a trompés.  » Aujourd’hui, l’ancien  » prêtre des bidonvilles  » abandonne un pays exsangue, cinq fois plus pauvre que la République dominicaine voisine.

Dans un futur proche, il faudra tout reconstruire : la démocratie, bien sûr, mais aussi l’éducation, l’agriculture, l’armée. En attendant, la population est heureuse. Dans les rues de Port-au-Prince, des milliers de gens ont manifesté leur joie. Une partie d’entre eux se sont adonnés au déchoukaj (pillage), avant que les soldats américains ne rétablissent l’ordre.  » L’ambiance n’est pas encore idéale, mais nous sommes soulagés que la France et les Etats-Unis aient finalement compris que le monstre devait partir « , note Tijean Lhérisson, contacté par téléphone. Responsable d’une organisation de défense des droits de l’homme, il se veut optimiste :  » L’opposition est maintenant en train de mettre sur pied des mécanismes pour pacifier le pays et proposer quelque chose de viable au peuple haïtien.  » En fait d’opposition, celle-ci apparaît bien morcelée. Réunie au sein de la Plate-forme démocratique, elle rassemble une vingtaine de partis (socialistes, sociaux-démocrates, chrétiens…), ainsi que des organisations de la société civile. A l’heure actuelle, ce sont toutefois les rebelles armés qui semblent en position de force. En quelques semaines de combats, ils ont obtenu ce que l’opposition pacifique réclamait en vain depuis des mois : le départ d’Aristide.

Un peu prise de court, la Plate-forme démocratique doit aujourd’hui proposer d’urgence des mesures pour réorganiser le pays. Cela implique de composer avec les rebelles, dont une partie a jadis officié dans les milices pro-Aristide.  » Ils ont donné beaucoup dans la bataille reconnaît Tijean Lhérisson. Ils se sont engagés pour mettre à bas le dictateur. C’est une réalité dont il faut tenir compte.  » Leur leader, Guy Philippe, jure qu’il n’a pas d’ambition politique. Son but, dit-il, était simplement de débarrasser le pays de la tyrannie. Les acteurs politiques haïtiens font mine de le croire, même si l’homme est soupçonné d’avoir organisé deux tentatives de coups d’état par le passé. Tous, en tout cas, savent qu’une nouvelle plongée dans un cycle de violences serait désastreuse pour le pays.

François Brabant

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