» Apprendre à vivre dans un monde limité « 

Depuis les années 1950, nous connaissons une croissance exponentielle de la population et des activités économiques. Cela s’est traduit par des flux de matière et d’énergie tout aussi exponentiels. Avec, pour conséquence, une perturbation gigantesque de notre écosystème. Aujourd’hui, sur tous les fronts, nous sommes confrontés à la finitude. Prenez le climat : l’élévation de la température, la modification du régime des précipitations et la montée du niveau des mers vont réduire la partie de la terre habitable en permanence par les hommes. Sur le front des ressources fossiles, nous atteindrons le pic pétrolier d’ici à cinq ou dix ans. Sur le front des ressources minérales, nous avons quinze à trente ans, au maximum, de réserves disponibles, à consommation constante, pour certains métaux précieux ou semi-précieux. La disponibilité d’eau douce commence à devenir un véritable problème : on sait d’ores et déjà que 1 degré de température supplémentaire peut faire revenir le désert à l’ouest des Etats-Unis et que la Grande-Bretagne s’inquiète du retour de la sécheresse. Enfin, les  » services écologiques  » (récolte, élevage, etc.) sont fortement dégradés.

L’enjeu, aujourd’hui, n’est pas de promouvoir une croissance  » durable « ,  » verte « , ou la décroissance – je ne crois ni à l’une ni à l’autre. L’enjeu, c’est de maintenir une société dynamique dans un monde qui se rétrécit et devient plus hostile. Notre civilisation s’est bâtie sur la croyance de pouvoir dépasser toute finitude, de pouvoir maîtriser le monde physique sans limites et sur le mythe d’un accroissement infini de la richesse. Nous sommes des hypermodernes, avec pour credo la recherche sans fin de la jouissance. En parallèle, nous avons développé une hostilité générale à toute forme de règle et de contrainte. Certes, la conscience de la nécessité de consommer autrement émerge peu à peu, mais sans qu’on réalise à quel point cela remet en cause nos modes de vie et de fonctionnement. Nous croyons toujours que le progrès technique va nous sauver. Mais celui-ci conduit en fait à l’accroissement de la consommation. Ainsi, dans l’informatique, à service rendu égal, un ordinateur consomme aujourd’hui moins d’énergie qu’il y a cinq ou dix ans, mais la puissance requise, les usages et le nombre d’utilisateurs n’ont cessé d’augmenter. Si bien que la consommation globale d’énergie liée à l’informatique devrait tripler d’ici à 2030, selon l’Agence internationale de l’énergie.

La seule solution pour sortir de ce cycle infernal, où la raréfaction des ressources porte en germe des risques de conflits et de guerres, c’est la régulation politique : on ne sortira pas du système actuel sans une régulation forte obligeant à produire et à consommer autrement. Les acteurs ne le feront pas spontanément. Opposer l’innovation à la réglementation est absurde. Au contraire, c’est la contrainte qui pousse à innover, à être créatif, comme l’a démontré la directive européenne Reach, dans la chimie. La taxe carbone est ainsi le seul moyen d’amener les citoyens à changer de comportement énergétique. La réglementation peut encourager l’économie circulaire : il s’agit d’appliquer la stratégie des 3 R : réduire, réutiliser, recycler. C’est-à-dire, au final, chercher à diminuer le substrat matériel de l’économie. Toute la difficulté est de faire avaliser ces nouvelles règles démocratiquement. On est sur la corde raide, les voies de transition sont étroites et l’écofascisme n’est jamais très loin ! Mais des pays prennent de l’avance, comme la Chine, qui a voté, fin 2008, une loi sur l’économie circulaireà surtout appliquée par les entreprises étrangères !

Si la régulation est faite à bon escient, la possession de certains biens deviendra de plus en plus coûteuse : cela ouvrira la voie à une économie de fonctionnalité. Pour maintenir un certain niveau de confort, malgré la pénurie généralisée des ressources, il faudra substituer à la vente d’un bien celle de son usage. Cela existe déjà dans l’industrie : par exemple, Michelin loue des services pneumatiques aux transporteurs et Xerox, des services de photocopie aux entreprises. Mais le potentiel de dématérialisation est bien plus élevé au niveau du consommateur final. On peut envisager la mutualisation de toute une série d’équipements (voiture, perceuse, etc.). Partager une voiture, c’est autant d’émissions en moins, d’essence non consommée, de véhicules non fabriqués. Aujourd’hui, 900 millions de voitures circulent dans le monde; si tous les pays de la planète atteignaient le même degré d’équipement que les Etats-Unis, il y en aurait 5 milliardsà Nous n’avons ni les matériaux pour les produire ni le carburant pour les faire rouler !

Nous ne pourrons plus tout posséder, la liberté absolue des modernes n’est plus possible à 7 milliards d’individus sur la planète, bientôt 9. Nous étions dans un monde systématique, unidimensionnel, où tout pouvait croître. Il faut arrêter de penser que l’enrichissement matériel est une fin en soi et revenir à une certaine forme de sobriété. Sans pour autant tomber dans la frugalité – dangereuse – des régimes communistes des années 1950. Mais, si on laisse aller le libre jeu des initiatives individuelles et nationales, notre monde explosera. Nous allons retrouver une certaine pression du collectif, qu’il faudra maîtriser pour ne pas basculer dans un autre système, tout aussi infernal. Il y a là un vrai défi pour nos institutions. La voie est étroite, les occasions de dérives sont permanentes, il faut garder l’esprit ouvert et critique. Mais nous n’avons pas le choix.

par dominique bourg

« arrêtons de penser que l’enrichissement est une fin en soi »

« il s’agit d’appliquer la stratégie des 3R : réduire, réutiliser, recycler »

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