Alter ego

Philippe Cornet Journaliste musique

Compositrice belge atypique, Myriam Alter s’offre sur If un brillant casting de musiciens américains pour interpréter sa musique métisse et voyageuse

Le CD If, distribué par Choice Music, est joué en concert (par les musiciens du disque) le 15 avril au Concertgebouw de Bruges. Infos : 070 22 50 05.

Myriam Alter habite un appartement chic dans un immeuble bruxellois d’allure haussmannienne. Entre Art déco et Art nouveau, elle y travaille sa musique au piano, celle de If, disque élégant construit dans un jazz très fin aux parfums juifs et latinos. Décrite ainsi, cette intro un brin  » prout ma chère  » pourrait faire prendre la musique de Myriam pour ce qu’elle n’est pas : du jazz de salon, de la musique confite dans l’aisance, bref, une prose superficielle, voire prétentieuse.  » C’est vrai que, pour certains musiciens de jazz en Belgique, j’ai tout de l’enfant gâtée. Le fait que j’ai produit moi-même financièrement If n’arrange pas les choses ( sourire), mais je peux vous assurer que si, à côté du chèque, les partitions que j’avais amenées à des musiciens tels que Kenny Werner ou Dino Saluzzi ne les avaient pas convaincus, ils me l’auraient très vite fait savoir. Il ne faut pas sous-estimer leur niveau d’exigence.  » Le pianiste new-yorkais et le bandonéoniste argentin sont, en effet, deux des acteurs, et non des moindres, de If. Le batteur Joey Baron, le bassiste Greg Cohen et le clarinettiste John Ruocco complètent un disque écrit dans une sorte de tradition européenne éclatée :  » Mes parents sont juifs ; la famille de ma mère venait de la ville grecque de Salonique, et celle de mon père, de Turquie. J’ai été nourrie de musique classique et de sons latinos : Los Paraguayos passaient beaucoup à la maison ( sourire). Mes parents n’ont pas connu les camps, mais on voyait beaucoup de rescapés à la maison : de tout cela sortaient, paradoxalement, une joie phénoménale, une énergie vitale étonnante. Je pense qu’ils me les ont un peu transmises.  »

A vrai dire, la beauté des mélodies de If, ses sinuosités subtiles imprégnées de plusieurs cultures dessinent un vrai disque du monde. Sans compromis ni fausse fraternité entre les genres. Le bandonéon forcément spleen de l’Argentin Saluzzi survole comme un aigle (noir) des partitions baignées d’une note bleue héritée du jazz américain, lui-même déjà mix essentiel de swing et de tristesse. Là-dessus, des particules de judéité musicale racontent les migrations et les douleurs, sans effets ni pathos.  » La mélancolie est présente dans mes quatre disques mais, pendant longtemps, j’ai été imprégnée de jazz, une matière que je voulais arriver à comprendre, à phraser ; ce sentiment de mélancolie ne pouvait donc être ma ligne de force.  » Myriam Alter a bien fait de se laisser aller. On aime ce disque comme ceux d’Eleni Karaindrou ou de Gidon Kremer parce qu’il raconte des choses aussi visibles qu’invisibles. Et ses interprètes ont la grande politesse de ne pas exhiber leur (réelle) dextérité.

Passe ton Bach d’abord

 » Ce disque est celui qui me ressemble le plus, où je laisse tomber la pression du jazz. Le danger était de tomber dans la caricature du tango, à cause du bandonéon, mais je pense que ces musiciens, avec lesquels j’ai enregistré le disque à New York en deux jours, sont des gens universels. Il y a quelques juifs et quelques Italiens là-dedans ! ( rires). Ils sont extrêmement rapides dans la compréhension des choses.  » Pour la première fois, Myriam Alter a l’impression d’avoir réellement réalisé ses ambitions. Ce quatrième disque en dix ans d’enregistrement est l’aboutissement d’une carrière commencée sur le tard :  » J’avais déjà eu deux cycles professionnels de sept ans chacun, l’un comme directrice de l’école de danse que j’avais ouverte, l’autre comme  » commerciale  » dans une agence de pub. Enfant, j’avais eu les classiques leçons de piano de la famille bourgeoise, Bach et tout ça ! Mais, à 36 ans, j’ai tout recommencé, en version jazz.  » Il en a fallu des nuits d’apprentissage pour que la pianiste s’affranchisse de son instrument, jusqu’à le laisser tomber pour ses propres enregistrements :  » Je ne joue plus sur les disques que j’écris. Je laisse le piano à quelqu’un de plus fort que moi, qui  » assure  » plus. De toute manière, je n’ai pas un ego surdéveloppé.  » Femme de ses propres affaires, Myriam Alter a signé un accord avec un label allemand (Enja) qui, après la Belgique et la France, vient de sortir If aux Etats-Unis et au Canada. L’accueil assez chaleureux de la critique  » jazz  » s’est doublé de l’enthousiasme des  » pros américains  » :  » La tournée européenne de onze dates qui passe par la Belgique est un cadeau qu’ils m’ont fait « , lance-t-elle comme une enfant devant un rayon d’instruments flambant neufs. S’il y a une justice, If fera du chemin.

Philippe Cornet

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