Alstom, une éclaircie dans la grisaille carolo

Oui, il y a encore des entreprises industrielles en Wallonie qui gagnent et recrutent. Même à Charleroi. Alstom Belgique récolte les fruits d’une reconversion de la production vers l’innovation. Son président, Marcel Miller, y voit une recette pour la région, mais tire aussi quelques sonnettes d’alarme.

Chantiers quasi permanents, routes indignes d’un pays européen, chancres urbains… Le quartier de la gare de Charleroi-Sud n’est pas vraiment high-tech. C’est pourtant là, en bord de Sambre, dans les ateliers de feu les Acec qu’Alstom, la filiale belge du géant français de l’énergie et des transports, renoue avec une certaine fierté technologique et fait souffler un vent d’optimisme sur une région qui en a bien besoin.

Le Vif/L’Express : Les résultats d’Alstom Charleroi tranchent avec la crise ambiante. Après avoir recruté 80 personnes en 2011 et repassé la barre symbolique des 1 000 travailleurs pour le pôle transport, vous avez démarré 2012 en force en signant un contrat de 300 millions d’euros avec les chemins de fer danois. L’année est déjà réussie ?

Marcel Miller : Nous récoltons les fruits d’un travail de fond entamé depuis plusieurs années dans le développement de nouvelles technologies, en particulier la signalisation ferroviaire. Nous avons évolué d’un centre de production vers une sorte de bureau d’études axé sur des métiers à plus haute valeur ajoutée. Alstom Charleroi est notamment le centre de compétence mondial du groupe pour la technologie Etcs/Ertms [NDLR : qui doit remplacer et harmoniser à terme les systèmes de signalisation actuellement utilisés sur les différents réseaux de chemins de fer européens].

Malheureusement, il faut souvent un accident ferroviaire pour accélérer les investissements dans la sécurité en général et dans la signalisation en particulier…

C’est effectivement souvent le cas. Par le passé, l’installation du système KVB en France a été accélérée par un terrible accident en gare de Lyon [NDLR : 56 morts en 1988], même chose pour une technologie similaire aux Pays-Bas. Il faut savoir que le ferroviaire connaît un retour de grâce depuis une dizaine d’années et que l’on met de plus en plus de trains en circulation. A un moment, il faut investir dans la signalisation.

Le carnet de commandes d’Alstom Charleroi déborde alors que la division transport du groupe Alstom a enregistré un recul de son chiffre d’affaires en 2011. Comment expliquez-vous cette dichotomie ?

Le marché du matériel roulant (rames de trains, trams, etc.) est confronté au problème des dettes souveraines des principaux Etats européens. Les budgets sont réduits en Espagne, en Angleterre, et probablement demain en Belgique ou ailleurs. Ce marché-là est en décroissance. Par contre, le marché de la sécurisation ne peut faire l’objet d’aucune coupe claire, alors que le nombre total de voyageurs est toujours en augmentation.

Les gens veulent un transport en commun de qualité et les caisses des Etats sont vides. Que faire ?

C’est un choix éminemment politique. Les problèmes de mobilité autour de Bruxelles sont devenus épouvantables. On peut ajouter encore six bandes au ring nord ou plutôt développer le transport en commun. De Lijn, par exemple, a présenté un plan à l’horizon 2020 pour réintroduire massivement le transport en commun au moyen de radiales vers Bruxelles. Les conditions à long terme sont bonnes pour le transport, mais il sera difficile à court terme de trouver les financements. Une solution peut être de faire appel à des partenariats public-privé. Une partie de l’extension du réseau de trams Brabo à Anvers s’est faite sur une telle base. Les appels d’offres pour Spartacus (liaison tram et bus entre Hasselt et Maastricht) également. Ce pourrait également être le cas pour le projet du tram à Liège, pour lequel nous sommes candidats. Nous attendons que les ministres Henry et Antoine se mettent d’accord sur le mode de financement.

Vos expats mènent des projets aux quatre coins du monde mais êtes-vous réellement prophète en votre pays ?

Nous avons décroché le contrat de renouvellement du matériel roulant dans le métro de la Stib qui inclut la livraison de rames sans conducteur. Ce sera une première en Belgique. Nous sommes également occupés à équiper Infrabel de 4 000 signaux compatibles Etcs 1 et TBL1+. Ce contrat s’étend de 2013 à 2018. Pour la suite, Infrabel et la SNCB se sont engagées à migrer le réseau et la totalité de la flotte vers des systèmes de sécurité de niveau 2 (Ertms) à l’horizon 2020-2022. Nous attendons les appels d’offres. Le tout, ici aussi, sera de voir si les financements vont suivre en temps utile et si le timing sera respecté.

La boucle du métro est enfin terminée à Charleroi. C’est un symbole important ?

C’est plus qu’un symbole. Cette boucle comprend deux antennes vers la périphérie et une troisième antenne vers Gosselies doit être mise en activité d’ici à un an. Une quatrième pourrait être rénovée si les autorités trouvent une trentaine de millions pour restaurer les tunnels. Charleroi pourrait alors être dotée d’un réseau relativement performant. Nous constatons à travers les nombreux développements en France que les projets de tramways sont souvent l’occasion de donner un coup de jeune à la ville.

Dommage que le matériel roulant reste très daté…

[Sourire.] Oui… Nous ne demandons pas mieux que de vendre du nouveau matériel… Le plus important est que le réseau fonctionne et je trouve que le matériel est encore en très bon état après trente ans. Le look n’est certes pas celui de 2012. Mais qui sait ?, peut-être qu’un jour ces trams vont doper le tourisme à Charleroi…

17 % de vos travailleurs ne sont pas belges. N’est-ce pas un peu choquant quand on connaît le taux de chômage en Hainaut ?

Oui et non. Dans les 17 %, il y a une partie d’Italiens qui vivent ici depuis longtemps mais qui n’ont pas la nationalité belge. Il y a également une bonne partie de frontaliers français et, enfin, des experts qui viennent du monde entier pour des projets spécifiques.

Les avantages fiscaux pour les travailleurs frontaliers sont supprimés. Prévoyez-vous une décrue de la main-d’£uvre française ?

Pas nécessairement, car les Français ont un système très développé d’éducation en alternance dans les filières techniques. Dès le moment où les écoles françaises d’ingénieurs industriels restent intéressées par des stages, nous ouvrons nos portes. Notre priorité est de trouver des gens compétents. S’ils sont dans la région tant mieux, sinon il faut bien qu’on aille les chercher un peu plus loin.

L’ingénieur est-il toujours une denrée rare ?

Dans le premier PV de réunion de Fabrimétal (en 1946 !), un des points à l’ordre du jour était déjà le manque de techniciens et d’ingénieurs. C’est malheureusement récurrent. Mais il est tout de même très alarmant que, pour la première fois, la Fédération Wallonie-Bruxelles ait diplômé moins de 1 000 ingénieurs en 2011.

Allez-vous encore engager cette année ?

Nous avons une bonne vingtaine de postes vacants. Et si certains projets précités tombent dans notre escarcelle, nous allons certainement recruter davantage.

Vous vous dites optimiste pour la Wallonie…

La Région reste très en retard économiquement, mais le taux de chômage a tout de même légèrement régressé. Ce qui indique que le tissu économique se renouvelle. Le vrai problème est de savoir pourquoi nos PME ont tant de mal à grandir.

ENTRETIEN : OLIVIER FABES

Les projets de tramways sont souvent l’occasion de donner un coup de jeune à la ville

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