Rosanne Mathot

Allah bonne heure !

Où il est question d’enfants, de Daech et d’humour anglais.

Des émotions dans un shaker. Des casseroles, des cuillères et des cocottes pataugeaient bruyamment dans un chaud bouillon de têtes, de jambes, d’épaules, de mains et de bouches gueulantes. Lorsque se tut le grand vacarme métallique, que le dernier calicot fut enroulé, l’ultime pancarte rangée, l’écho des slogans trémula longtemps encore dans la nuit. La manifestation des grands-mères s’acheva sur un ultime :  » Ramenez nos enfants ! (1)  » La bande des mamies claqua deux bises sur les joues de Bertrand, le seul homme à exiger avec elles, jour après jour, avec un féroce enthousiasme paternel, le retour des mômes belges piégés dans les ruines de l’Etat islamique (2).  » A dem… Smack !…ain, Bertrand.  » Smack ! Façon aller-retour.

L’aller-retour de son garçon, Bertrand, le cuisinier mélancolique du Geyser, en rêvait depuis six ans. Un jour, sa femme était partie, leur gosse à la main, acheter des clopes. Mère et fils s’étaient retrouvés sur une ligne de front en Syrie.  » Radicalisée « , qu’on lui avait dit.  » Rien à faire « , qu’on avait ajouté.  » Raphaël ne reviendra peut-être jamais « , qu’on avait conclu. Depuis, Bertrand ne vivait plus. Ou alors à moitié. Le chagrin s’était incrusté en lui comme un hameçon lui lacérant la gorge. Il souffrait. Ce phénomène intriguant se nomme l’amour.

De retour au Geyser, le cuisinier avisa des femmes en burqa. Toutes s’étaient attachées une serviette autour du cou. Ces grandes serviettes donnaient aux mangeuses d’immenses oreilles. L’ensemble évoquait une assemblée de lapins domestiques en deuil. Sauf que ça rigolait beaucoup, à cette table-là :

–  » Ali m’avait acheté une chaîne de huit mètres : je pouvais presque sortir de la maison !  » gargouillait, dans un fou rire, une femme en noir.

–  » Moi, à trois jours de ma décapitation, je ne savait toujours pas quoi porter !  »

–  » Je l’aimais bien, mon gilet d’explosifs. Il me faisait la taille fine, non ?  » enchaîna la troisième, en hoquetant.

Bertrand, lui, ne trouvait pas ça fendard. Du tout.

–  » Relax, Max !  » lui fit gentiment la serveuse, en clignant de l’oeil.  » Tu ne vois donc pas que c’est un sketch ? (3)  »

Alors, Paula éclata d’un de ses grands rires subits qui faisaient gondoler ses cheveux châtain. Un rire qui – comme un serrement brûlant – poussait vers le haut, poussait vers le bas, poussait vers l’avenir, lacérant le ventre, le bas-ventre. Tout.

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer, sur la Une, à 20 h 15…

(1) Début avril dernier, à Bruxelles, plusieurs manifestations de grands-mères ont réclamé le retour de leurs petits-enfants de Syrie.

(2) L’Etat belge s’est engagé à aider au rapatriement des enfants de djihadistes âgés de moins de 10 ans, détenus dans des prisons syriennes et kurdes. Selon l’Ocam, 17 femmes belges et leurs 32 enfants se trouveraient en Syrie, ainsi que 10 hommes considérés comme djihadistes.

(3) En 2017, la BBC a réalisé un sketch satirique, The Real Housewives of Isis, diffusé dans l’émission Revolting. Il met en scène des femmes mariées à des membres de Daech et a fait l’objet de réactions très tranchées.

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