Alexakis et les maux grecs

Marianne Payot Journaliste

Dans un livre où il accompagne les derniers jours de son ami, l’éditeur Jean-Marc Roberts, le romancier s’interroge sur les racines de la crise de son pays. Poignant.

Il y était ! Dans les rues d’Athènes, dimanche 25 janvier, au soir de l’élection d’Alexis Tsipras. Avec fils et petit-fils perché sur les épaules. Longtemps, Vassilis Alexakis a eu le sentiment d’être un étranger dans son pays. Pour s’être éloigné de la Grèce pendant la dictature des colonels, y être revenu sporadiquement avec les siens,  » comme une famille française « , pour avoir écrit ses premiers romans en français, l’auteur de Paris-Athènes avait perdu son passé et sa langue maternelle. Jusqu’à ressentir le besoin d’enregistrer les gens dans les cafés pour entendre la musique du grec et être apte à la reproduire dans son cinquième livre, Talgo (1983).  » En vivant entre deux pays, je suis passé à côté de tous les événements. En mai 1968, j’étais en Grèce ; à la fin de la dictature, je résidais à Paris. J’ai tout raté, comme ce petit bonhomme d’une nouvelle de Mark Twain qui tourne la tête ailleurs lors du passage de la reine. Depuis, je me suis refait.  »

Au chapitre de ses rattrapages, il souhaitait, lui, le saltimbanque de 71 ans, déterrer les racines de la crise, déjà évoquée il y a près de trois ans dans L’Enfant grec. La crise, la mémoire, tels étaient, au départ, les principaux thèmes de La Clarinette. Mais alors qu’il s’instruit sur la question, surgit le cancer de son ami et seul éditeur depuis 1974, Jean-Marc Roberts. Bientôt, les deux drames ne font plus qu’un. Les traitements du patron de Stock s’apparentent à ceux de la nation grecque, l’angoisse pour l’ami rejoint l’inquiétude pour son pays.  » Je dépéris  » : l’un des multiples slogans tracés sur les murs d’Athènes saute les frontières. Jean-Marc Roberts s’éteint un 25 mars, jour de la fête nationale grecque. C’est en cheminant dans l’extraordinaire et méconnu cimetière antique du Céramique que l’Athénien trouve l’apaisement.  » L’idée qu’on meurt depuis si longtemps t’aide à accepter la mort, note l’athée Alexakis. Au lieu de jeter de la terre sur la tombe de Jean-Marc, j’ai jeté un livre.  » Un très beau livre, rédigé (au crayon à papier) en français pour  » restituer le son de sa voix « , sorte de journal de bord adressé à l’ami, mêlant avec bonheur faits réels et imaginaires, journées parisiennes et nuits athéniennes, visites à l’hôpital et plongées dans la misère grecque.

Parcourir Athènes avec l’ancien étudiant en journalisme de Lille, c’est bien évidemment s’interroger sur les maux de la péninsule hellénique.  » La Grèce, berceau de la démocratie, est restée à l’écart du processus de formation des Etats européens, elle est passée à côté de la Renaissance et a ignoré le siècle des Lumières, souligne Alexakis. C’est son vrai drame et son paradoxe. Puis elle est sortie de l’occupation ottomane comme si rien n’avait changé. L’Etat est resté l’ennemi, tout le monde cherche à tricher, seule compte l’organisation familiale. Quant à la richissime Eglise, dont le pouvoir spirituel est aussi important que le pouvoir matériel, elle est intouchable – la contester revient à renier sa patrie et peut vous conduire devant les tribunaux.  » Pas de caricatures, ici, ni de blasphèmes. Las ! avec la crise, la famille, qui a pris le relais de l’Etat défaillant, a commencé à se disloquer.  » Réunies sous un même toit, les générations sont entrées en conflit, remarque l’enfant de Kallithea. C’est un nouveau drame, jamais les gens ne se sont sentis si seuls.  »

L’Eglise orthodoxe, mais aussi les folles années 1980 et 1990 des socialistes Papandréou père et fils multipliant dettes et dépenses, la troïka des créanciers, le parti d’extrême droite xénophobe Aube dorée…  » Nous avons vécu sur des mensonges, comment s’étonner que la Grèce soit le seul pays pauvre que personne ne plaint ? « , constate, lucide, l’écrivain à la pipe. Quel avenir avec Alexis Tsipras, le nouveau Premier ministre ? Sans faire partie du premier cercle, Alexakis connaît de longue date le leader de Syriza, ayant même accepté de figurer symboliquement sur sa liste aux élections européennes de 2004 et municipales de 2006. Il pense du bien de ce  » fin politique « , mais, à l’instar de la foule rassemblée le soir de la victoire de la gauche radicale, ne veut pas s’enflammer, tant les chantiers sont innombrables.

Reste que c’est dans cette Grèce,  » plus tragique, plus romanesque, bref plus intéressante que la France « , qu’Alexakis souhaite désormais séjourner durablement. Mais  » si la gauche réussit, si les hôpitaux se mettent à fonctionner, si l’Eglise perd de son influence sur l’éducation, alors il sera peut-être temps de repartir « , conclut-il rappelant que l’une des questions les plus fréquemment posées à la Pythie était :  » Dois-je m’expatrier ?  »

La Clarinette, par Vassilis Alexakis. Seuil, 360 p.

Marianne Payot

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