Quand on veut vraiment travailler, on y arrive toujours. Les chômeurs sont bien contents de l’être et, en plus, ils en profitent pour bosser au noir. Sans parler de ces femmes de médecins ou d’avocats qui touchent des allocations !
Les clichés injustes ont la vie dure et ceux-là continueront à distiller leur venin tant que des esprits malveillants prendront l’exception pour la généralité. Car il y a, de fait, des chômeurs profiteurs, des travailleurs au noir et des sans-emploi satisfaits de leur sort. Mais qui oserait soutenir qu’ils sont en nombre significatif parmi les 543 599 demandeurs d’emploi que comptait le pays à la fin du mois d’avril ? C’est plus de 12 Belges sur 100 en âge de travailler ! Près de 420 000 d’entre eux perçoivent des allocations complètes payées par l’Onem, organisme fédéral, tandis que les services régionaux de l’emploi (Orbem, Forem, VDAB) sont responsables de l’encadrement et de la formation des chômeurs.
Depuis sa création en 1945, le système belge de l’assurance chômage a clairement annoncé la couleur : la solidarité financière ne jouera pas pour les tricheurs et les tire-au-flanc. Il l’a dit de diverses façons au cours du temps, écartant ceux qui étaient sans travail par leur faute, ou depuis un temps anormalement long, ou après des refus d’emplois convenables. Et voilà que le gouvernement Verhofstadt û et en particulier son ministre de l’Emploi Frank Vandenbroucke (SP.A) û veut franchir un pas supplémentaire : exiger de tous les chômeurs qu’ils adoptent un comportement actif à la recherche d’un emploi, et qu’ils en fassent la preuve sous peine de perdre temporairement, puis définitivement leur droit aux allocations.
Débattus cette semaine à l’Onem avant de passer au gouvernement, les projets d’arrêtés marquent un tournant important dans la philosophie d’un système dont ils ne brisent pas pour autant la continuité. Rien ne change à la vieille obligation, pour le chômeur, d’être » disponible sur le marché de l’emploi « . Mais, comme l’analyse Paul Palsterman dans la dernière livraison de La Revue nouvelle, cette disponibilité avait toujours été passive. Elle va devenir active : la notion d’effort personnel entrera en considération pour » mériter » les revenus de remplacement, que ces efforts aient ou non porté leurs fruits. L’Onem mènera des entretiens à intervalles de quelques mois avec les demandeurs d’emploi pour vérifier la réalité de leurs démarches (répondre à des annonces, se présenter à une embauche, suivre une formation…). Ceux qui n’en auraient pas effectué devront s’engager à modifier leur comportement. Et, s’ils ne le faisaient pas, les sanctions entreraient en vigueur.
C’est peu dire que les réactions au projet ont été divergentes et, parfois, virulentes. Tandis que le patronat acquiesçait, une plate-forme » Stop à la chasse aux chômeurs » rassemblait, dès avril, de nombreuses associations et organisations. » C’est l’emploi qui est indisponible, pas les chômeurs « , » On ne peut pas trouver ce qui n’existe pas « , répète le front du refus. La vérité de ces slogans est incontestable. Mais, en l’occurrence, ils suggèrent une interprétation tronquée du projet. Le ministre Vandenbroucke n’impose nulle part une obligation de résultat, mais seulement de moyens. Et il n’est pas anormal que les chômeurs remplissent certains devoirs, ce dont conviennent sans peine les états-majors syndicaux. En outre, le projet abolit le pointage et la disposition û très critiquée û qui sanctionne le chômage » anormalement long » des cohabitants. Il souligne l’importance d’un suivi des chômeurs et d’un contact personnalisé maintenu avec eux.
Restent quelques sérieuses craintes. La » présomption de paresse » qui inspire le système ajoutera un fardeau psychologique écrasant sur les demandeurs d’emploi déjà fragilisés socialement. Evaluer les efforts des chômeurs imposera à l’Onem un périlleux grand écart : recourir à des critères à la fois communs à tout l’organisme et spécifiques au marché du travail de chaque sous-région. Si cette région est un désert économique, quelles seraient les démarches volontaristes à y opérer ? Et quid des analphabètes incapables de lire une offre d’emploi ?
Défendable sur le fond, le projet Vandenbroucke laisse ainsi en suspens bon nombre de questions sur son application. Il ne sera crédible que si l’exigence d’un encadrement actif, par les pouvoirs publics, est pleinement rencontrée. Et s’il prouve û chacun son tour û qu’il est autre chose qu’une machine à sortir des chômeurs indemnisés des statistiques officielles.
Jean-François Dumont
Défendable dans son principe, le projet qui impose aux chômeurs des efforts concrets dans la recherche d’un emploi laisse planer de lourdes inquiétudes sur son application