Affronter le pire

Elle a menti : l’auteur de Survivre avec les loups, best-seller traduit en 18 langues, porté récemment à l’écran, ne s’appelle pas Misha Defonseca, mais Monique Dewael. Elle n’est pas juive. En 1941, elle n’a pas marché 3 000 kilomètres pour retrouver ses parents déportés. Elle n’a pas davantage été sauvée par une meute de loups. A l’époque, elle avait 4 ans et souffrait d’être appelée la  » fille du traître « . Traumatisée par l’arrestation puis le décès de ses parents, l’orpheline s’est inventé une autre vie. Ce drame mérite la compassion. Mais il n’autorisait pas Monique Dewael à s’approprier l’histoire de la Shoah. Il n’excuse pas non plus la légèreté des éditeurs et de la réalisatrice du film, qui ont omis de s’assurer de la véracité du récit. Ils ont flairé le bon filon. L’argent facile a prévalu. Tous ont ainsi mis de l’eau au moulin des négationnistes : si cette  » histoire juive  » n’est pas vraie, il n’y a pas de raison que les autres le soient.

Autre polémique : voici quelques semaines, en France, Nicolas Sarkozy a proposé de confier la mémoire d’un enfant victime du nazisme à chaque écolier de CM2 (2e primaire). Tollé. Rescapée d’Auschwitz, l’ancienne ministre Simone Veil a qualifié ce projet d’inimaginable et d’insoutenable. Faire en sorte que des enfants s’identifient, de manière morbide, à de jeunes gazés s’apparente à une forme de violence psychologique. A quoi sert-il d’ébranler ainsi des gamins ?

Chez nous, Pieter De Crem (CD&V) mérite également une palme. Le ministre de la Défense a imaginé de supprimer toute aide aux organisateurs de voyages et aux rescapés des camps de la mort qui, depuis plus de soixante ans, conduisent des groupes scolaires sur les lieux de mémoire : à Breendonk, à Buchenwald, à Auschwitz-Birkenau… Pour De Crem, les bus militaires fournis gracieusement constituent une concurrence déloyale vis-à-vis des transports privés. Le Groupe Mémoire, composé d’anciens prisonniers de 1940-1945, s’est demandé si cette initiative ne cachait pas une volonté d’oubli.

Comment expliquer de telles maladresses ? Il est difficile de n’y voir que de simples coïncidences. Et si elles révélaient une forme d’ignorance : on n’a encore jamais eu vraiment le courage de regarder le pire en face. Pendant des décennies, les victimes de l’Holocauste se sont tues. Leurs histoires étaient indicibles, inconcevables, les populations restées sous le choc ne pouvaient et ne voulaient pas les entendre. La Shoah demeure un drame exceptionnel, une tache pour l’Europe. Massacre idéologiquement programmé, elle a visé à supprimer un peuple de la terre. Et  » kein warum « , pas d’explication admissible. De cinq à six millions de morts : deux tiers des juifs d’Europe exterminés (40 % des juifs du monde). Se rendre à Auschwitz, restaurer la réalité de la Shoah, sans imposture et sans martyriser les écoliers, c’est lutter contre l’antisémitisme. Mais c’est aussi une leçon de vie, une éducation à la tolérance et à la différence. On a trop souvent tenté d’en faire l’économie. Mais il n’est jamais trop tard pour chercher à comprendre comment, à un moment de son histoire, l’humanité a pu en arriver là. l

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