Le tram traversant la place Saint-Lambert devrait être une réalité autour de 2022. © keskistram.eu

À Liège, le transport public est sur les rails

Julie Luong

Demain, le paysage liégeois sera traversé par un tout nouveau  » serpent de charge « . Prévue pour 2022, la ligne de 12 km devrait, d’ici à 2030, être étendue et connectée à un réseau renouvelé de transports en commun.

Les bus bondés, les exercices d’équilibriste dans les tournants, les correspondances qu’on loupe et les rendez-vous où on n’arrive jamais, c’était avant. En 2017. Au temps où le tram n’avait pas encore  » désasphyxié  » le bus liégeois, obèse, débordant, cahotant.

Aujourd’hui, un Wallon sur trois qui utilise les services du TEC le fait dans la zone urbaine de Liège. Et, chaque année, la clientèle du TEC augmente de 5 à 8 %. Le compte est vite fait : le nombre de bus ne suffit plus et les itinéraires couverts ne sont plus adaptés aux réalités quotidiennes des habitants. Avec le tram, Liège espère proposer une alternative qualitative à la voiture et parvenir à désengorger profondément le  » fond de vallée « . Car une rame peut accueillir quelque 300 personnes contre 100 environ pour un bus articulé. Roulant intégralement en site propre, et prioritaire aux carrefours, le tram n’est pas soumis aux aléas de la circulation et promet une fréquence de passage régulière, soit une attente inférieure à 7 minutes en heure de pointe et à 10 minutes en heure creuse.  » Et puis, il y a l’image « , répète Michel Firket (CDH), échevin des finances, de la mobilité, du tourisme et du patrimoine. Un tram, ça glisse, ça trace, ça file…

Un retour très attendu

Michel Firket (CDH), échevin des finances, de la mobilité, du tourisme et du patrimoine.
Michel Firket (CDH), échevin des finances, de la mobilité, du tourisme et du patrimoine.© Michel Houet/Belgaimage

Il y a l’image, bien sûr, et puis il y a les souvenirs. Dès 1871, divers modèles de véhicules circulant sur rails et tractés par des chevaux sont apparus à Liège. En 1893, la ville est la première à se doter en Belgique de l’électrification des lignes. Le réseau se développe et atteint le pont de Wandre, Chênée, Angleur. Quant au  » tram vert « , qui relie le bassin industriel au centre, il est alors un symbole fort de la vie sérésienne. Mais après la Seconde Guerre mondiale, les lignes se raréfient. La suppression, en 1967, des derniers tramways au profit des bus jugés plus rentables laissera de nombreux Liégeois nostalgiques.

Quarante ans plus tard, la nécessité de proposer de nouvelles solutions pour le déplacement urbain remet le tram à l’ordre du jour.  » Le transport public est la clé de voûte de la mobilité et de l’apaisement de la ville « , déclare Michel Firket. Une première étude réalisée en 2008 par la SRWT (Société régionale wallonne du transport) se montre favorable au tram, une solution déjà adoptée par de nombreuses métropoles européennes comme Bordeaux, souvent citée en exemple par les autorités liégeoises. Mais il aura fallu presque dix ans pour que cette même SRWT, chargée par le gouvernement wallon de la mise en oeuvre de la ligne, se voie enfin signifier en février dernier et après trois refus successifs, un avis positif d’Eurostat – l’organisme européen de surveillance des normes comptables publiques – sur le mécanisme de financement de la ligne 1.

Eurostat a plus exactement validé la  » débudgétisation  » de cet investissement, c’est-à-dire son extraction des comptes publics wallons, le coût total de l’opération étant estimé à quelque 400 millions d’euros. Pour l’asbl Urb- Agora, très active dans le débat urbain, le recours du gouvernement à un PPP (partenariat public-privé) est d’ailleurs considéré comme un  » énorme gaspillage d’argent public « , ce partenariat impliquant un transfert financier majeur vers le partenaire privé et ses actionnaires, tout en protégeant le pouvoir public contre les risques inhérents à la réalisation et à l’exploitation de la ligne,  » mais non des risques liés au sous-sol ou aux variations du prix de l’énergie « , souligne UrbAgora.

À Liège, le transport public est sur les rails
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Pénétrer la ville

Le projet semble en tout cas  » sur les rails « , avec trois consortiums aujourd’hui candidats au marché, et le début des travaux annoncé pour 2018 avec une mise en service autour de 2022. Sur une longueur de presque 12 kilomètres, le tram reliera dans un premier temps Sclessin à Coronmeuse. Il s’étendra du stade du Standard – en face duquel prendra place un vaste parking relais – au site du Val-Benoît, avant de pénétrer, via les Guillemins, dans le coeur de la Cité ardente, puis de longer la Meuse jusqu’à l’entrée du canal Albert, face au site de Coronmeuse, où la Ville souhaite installer un écoquartier, et Bressoux, où prendra place un autre parking relais.

En tout, 21 arrêts seront prévus, avec, dans le centre, une moyenne de 450 mètres entre deux arrêts. Neuf d’entre eux permettront des échanges avec les bus, qui continueront à assurer la desserte fine des quartiers, quitte à raccourcir les lignes en cas de  » doublons  » avec le tram. La ligne 1 traversera ainsi les lieux des grandes manifestations liégeoises, depuis Les Ardentes jusqu’à la foire d’octobre en passant par le marché de Noël, place du Marché. Quant à La Batte, le marché dominical qui occupe les quais de la rive gauche, elle ne devrait finalement pas être perturbée par l’arrivée du tram qui, chaque dimanche, empruntera exceptionnellement Feronstrée dans les deux sens pour dégager les quais. En semaine, le tram passera dans un sens par les quais et dans l’autre par Feronstrée, la rue qui leur est parallèle. Un double passage contesté par UrbAgora qui espérait, à long terme, la piétonisation complète des bords de Meuse.  » Mais le tracé du tram sera longé par une voie cyclo-pédestre « , rappelle Michel Firket.

En réalisant une véritable percée à travers le centre urbain, la ligne 1 entend évidemment inciter les périurbains à laisser leur voiture aux portes de Liège pour rallier en tram ses points névralgiques.  » La voiture sera remise à sa place, expose Michel Firket. Elle est la bienvenue, mais pas quand elle appartient à quelqu’un qui vient travailler le matin et repart le soir, ce qui prend de l’espace et n’est pas bon pour la ville, ni pour le paysage, ni pour la fluidité de circulation.  » Un tracé  » pensé par les périurbains pour les périurbains « , juge UrbAgora.  » Nous nous sommes beaucoup battus pour que le tram passe par les quartiers et non en bordure des quartiers, martèle Laurent Nisen, président de l’association liégeoise. Nous aurions aimé suivre l’exemple de certaines villes qui ont pensé leur tram comme un instrument d’aménagement des quartiers, une manière de repenser la hiérarchie urbaine.  » L’association s’inquiète en particulier de l’intermodalité (jonction tram-train) au niveau de Bressoux ou de la place Vivegnis.  » Je me refuse à laisser croire qu’on peut encore discuter le tracé. On n’en est plus là, réagit de son côté Michel Firket. Nous avons désormais un permis qui le couvre, de même que l’implantation des centres de maintenance, les parkings relais, et on l’a pérennisé jusqu’à l’échéance du chantier à venir.  »

Dans un premier temps, une ligne de 12 kilomètres reliera Sclessin à Coronmeuse.
Dans un premier temps, une ligne de 12 kilomètres reliera Sclessin à Coronmeuse.© photos : keskistram.eu

Ligne 2 et suivantes

A ce stade, le véritable enjeu à l’horizon 2030 demeure pourtant la possibilité d’extension du tracé et d’un maillage cohérent avec les autres moyens de transport qui constitueront la ville de demain.  » Cette première ligne 1 doit effectivement être complétée, confirme Michel Firket. D’abord par un tronçon supplémentaire jusqu’à Herstal et de l’autre côté jusqu’à Jemeppe pour atteindre 17 kilomètres « . Deuxième objectif à long terme : le développement de la Transurbaine, aussi nommée ligne 2, qui formerait une croix avec la première, allant de la gare d’Ans jusqu’à Fléron ou, plus probablement, Chênée et Chaudfontaine. Une ligne qui franchirait la Meuse et qui a aussi été ardemment défendue par UrbAgora ces dernières années. Seulement voilà, la ligne 2 ne sera pas une ligne de tram mais de  » bus à haut niveau de service « , dit BHNS, caractérisée par une fréquence de passage élevée, des horaires étendus, un parcours essentiellement en site propre et un plancher bas pour faciliter l’accès des personnes à mobilité réduite.  » C’est un moyen de transport plus attractif, plus confortable et plus praticable pour le commun des Liégeois « , souligne Michel Firket. Avec l’avantage que ces bus de nouvelle génération, aux apparences de tram articulé, représentent un investissement moins coûteux que celui d’une ligne ferrée et des rames qui vont avec…

 » Par ailleurs, nous estimons que la capacité des BHNS, qui peuvent embarquer quelque 130 personnes, est suffisante sur cet axe-là. Ce n’est d’ailleurs pas le seul BHNS convoité puisque la SRWT mène actuellement une étude sur 14 axes structurants, des lignes prioritaires qui pourraient là encore être équipées de BHNS « , commente l’échevin. Parmi ces axes, la Ville de Liège privilégie en particulier celle qui desservira le Sart- Tilman, qui abrite la plus grande partie de l’université de Liège, ainsi que le CHU et un écoquartier. Autant de ramifications qui devraient permettre – péniblement ou non, l’avenir le dira – d’atteindre l’ensemble de la population.  » Le tram est aussi solidaire, affirme Michel Firket. Il permettra aux habitants de se reconnaître dans les transports en public, un peu comme à l’époque du tram vert…  » Décidément, une belle image d’avenir, non plus d’archives.

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