A la Une du New Yorker

Frustrée de ne pouvoir publier qu’un dessin par semaine, la directrice artistique (française) de l’hebdo américain dévoile les couvertures non publiées et présente une sélection de couvertures, réelles, à Paris.

Septembre 2001. New York est meurtrie en son c£ur, amputée de ses tours jumelles. Quelques jours après les attaques, une couverture du New Yorker, hebdomadaire diffusé à plus d’un million d’exemplaires, marque : les deux tours défuntes y sont représentées en noir sur fond noir, presque invisibles – mortes déjà, mais encore là.  » On était dans un état de désarroi et de manque de repères : chercher une image représentant une telle montagne d’émotions me semblait la chose la plus futile qui soit, explique Françoise Mouly, directrice artistique du magazine. Quand Art Spiegelman a suggéré de faire les tours jumelles noires sur fond noir, de ce désespoir, de ce désir de ne rien faire, de cette conviction que rien ne pouvait être au niveau est né quelque chose qui a été un déclic. J’ai vécu toute ma vie avec la conviction que les images étaient magiques, qu’avec juste un papier et un crayon un artiste pouvait créer tout un monde.  »

Depuis près de vingt ans, Françoise Mouly, Française expatriée à New York dans les années 1970, est responsable des Unes du magazine américain : entourée d’une communauté d’artistes de renom, elle cherche, chaque semaine, à  » peindre un portrait de la société avec les images « . Si le New Yorker a la particularité d’avoir toujours présenté en Une des illustrations dépourvues de légende, elle a su redynamiser l’approche visuelle en travaillant avec des artistes plus engagés qui, par leurs couvertures explosives, ont rompu avec les Unes intentionnellement apolitiques du New Yorker de l’après-guerre.  » A la manière du dessin automatique des surréalistes qui laissait transparaître l’inconscient de l’artiste, il faut que les dessinateurs laissent le crayon être et se transformer en stylet qui prend la mesure de l’inconscient collectif « , explique-t-elle… Au risque parfois de choquer l’opinion publique, comme avec cette Une de Barry Blitt à l’été 2008. En pleine campagne présidentielle, il avait dessiné Barack et Michelle Obama déguisés en islamistes armés à la Maison-Blanche devant un portrait de Ben Laden, un drapeau américain brûlant dans la cheminée.  » Cette image, c’était le cauchemar des gens de droite qui voyaient Obama comme un terroriste musulman – c’était une illustration presque littérale de leur discours ! explique Françoise Mouly. C’était tellement profond chez les gens, tellement ancré et caché que ça me paraissait utile d’en parler, de montrer par des images l’absurdité de la chose.  » Robert Crumb, l’un des dessinateurs avec qui elle travaille, explique justement qu’il dessine pour  » ramener à la surface le cancer qui sommeille en chacun de nous – et pour rire de son absurdité « .

Chronique imagée des vingt dernières années, les Unes du New Yorker racontent, à leur façon, l’histoire de notre temps. En présentant le regard décalé des artistes sur l’actualité, le magazine permet de penser le monde différemment.  » Trop souvent, les choses ont tendance à se figer dans l’ordre établi, explique la directrice artistique. Un dessin peut donner de nouvelles clés de lecture du monde et faire évoluer les points de vue. Reste pour les gens à utiliser ce levier à leur disposition…  »

Les Dessous du New Yorker. Les couvertures auxquelles vous avez échappé, Françoise Mouly, La Martinière, 127 p.

Les Couvertures du New Yorker, exposition du 26 octobre 2012 au 5 janvier 2013, galerie Martel, 17, rue Martel, Paris Xe.

JULES FOURNIER

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