A bras le coeur

Harlan Coben enchaîne les best-sellers à l’américaine. Son Jake manque d’aubaine, puisque sa bien-aimée en épouse un autre. Que cache cette mise à l’écart soudaine ?

« La nature humaine n’a aucun secret pour un prof de lettres…  » Qu’en est-il pour Harlan Coben ? S’il a la carrure d’un rugbyman, il préfère nettement se pencher sur nos abîmes. Aussi scrute-t-il des héros confrontés à un brusque chavirement. Il suffit d’un grain de sable pour secouer une vie apparemment stable… Cela fait  » six ans déjà  » que Jake a perdu Natalie. Six ans que la femme de sa vie a convolé ailleurs, alors qu’ils semblaient si comblés. Incapable de faire son deuil, il est stupéfait d’apprendre qu’elle est devenue veuve. Son coeur s’emballe, mais il n’est pas au bout de ses surprises… Qui est vraiment sa dulcinée ? Une plongée dans les arcanes d’une société qui se croit à l’abri de tout, y compris d’un amour inouï.

Le Vif/L’Express : En quoi l’écriture vous permet-elle de creuser  » nos zones d’ombre  » ?

Harlan Coben : Comme l’architecture, l’écriture consiste à construire quelque chose. On se croit uniques et complexes, alors que nous ressentons tous la souffrance, le désir, l’amitié et l’amour. Le diabolique ne m’intéresse pas car nul n’est totalement bon ou mauvais. C’est pourquoi je suis plutôt attiré par nos zones grises, qui me semblent plus proches de la réalité. On est tous capables du pire, aussi devons-nous nous prémunir contre la nature humaine. J’ai horreur des livres qui donnent des réponses, les miens tendent à poser des questions, quitte à laisser le lecteur éveillé toute la nuit. Mes romans partent toujours d’une même interrogation :  » qu’arriverait-il si…  »

Ils explorent aussi une thématique récurrente, la perte. Pourquoi ?

Ayant perdu mes parents, très tôt, je suis conscient qu’on doit savourer chaque moment de l’existence. Celle-ci s’avère si fragile, qu’il suffit d’un rien pour que tout bascule… L’écriture m’a rendu plus serein car j’y exorcise mes peurs. Mon expérience m’a également appris qu’on ne se connaît jamais vraiment. Face à la tragédie, nul ne sait comment il réagira, s’il est courageux ou pas. Déchiré par le mariage de sa douce avec un autre homme, mon héros doit entreprendre un voyage sur la route de la vie. Tout part et tout vient, il doit l’accepter, mais jusqu’où est-il prêt à aller ?

 » Les souvenirs douloureux pèsent sur les barrières  » de Jake. L’amour peut-il les renverser ?

Je suis persuadé que le passé ne peut jamais être enterré ou brûlé. Jake a été cassé par la perte de Natalie. L’autre n’est pas responsable de notre bonheur, mais dans son cas, il se sent incomplet sans cette femme. Il a besoin de réponses pour connaître la vérité et avancer. L’amour et l’espoir sont ses seuls moteurs, or ils peuvent se montrer cruels. Alors que Jake croit au destin, je suis plus terre-à-terre. Certaines choses se jouent entre nos mains, mais j’ai appris à lâcher prise… du moins dans la vie car en littérature, je suis un vrai control freak (rires).

Vos romans peuvent-ils être perçus comme un portrait de l’Amérique, où les gens  » sont supposés être en sécurité, protégés du Mal  » ?

Oui, mais il s’agit désormais d’une vision internationale, à savoir l’illusion sécuritaire. On aspire au rêve comme finalité, alors qu’il peut entraîner le cauchemar. C’est d’autant plus inquiétant de savoir que celui-ci peut se situer en nous… Plus que l’uniformité, je prône plusieurs côtés d’une histoire. C’est pourquoi la perte et la rédemption sont toujours au coeur de mes fictions. Ce roman-ci pose aussi la question de l’héroïsme. Je préfère les héros du quotidien aux sauveurs incroyables. Patriotique, je me rends dans les bases et les hôpitaux militaires américains, en Allemagne, aux Etats-Unis ou au Koweït. Certains blessés font preuve d’une telle modestie, quelle force ! Cela me conforte dans l’idée qu’on peut changer de vie, chaque jour. Parfois, la tragédie nous y oblige, mais l’amour peut aussi avoir ce pouvoir.

Six ans déjà, par Harlan Coben, éd. Belfond, 367 p.

Entretien : Kerenn Elkaïm

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