13. Illégal ou immoral ?

Une infraction est, certes, un acte fautif et injuste. Mais c’est avant tout un acte illégal, un acte que la loi prohibe et dont l’accomplissement est réprimé par une sanction pénale, c’est-à-dire une peine. La loi détient donc sans partage le pouvoir d’interdire, avec pour conséquence que tout ce qui n’est pas interdit est permis. Un système de droit fondé sur la légalité présente dès lors un indéniable avantage : il empêche ceux qui ont le pouvoir de condamner de choisir eux-mêmes ce qu’ils jugeraient condamnable, et ce système garantit la sécurité des citoyens grâce à sa prévisibilité. La loi étant supposée connue (puisque  » nul n’est censé l’ignorer « ), on ne saurait l’enfreindre sans le savoir. Un homme averti en valant deux, il faudra donc, pour transgresser l’interdit, l’avoir bel et bien décidé ! Cette considération est à la base de plusieurs règles essentielles du droit pénal : la non-rétroactivité de la loi pénale, par exemple, empêche que l’on demande des comptes à l’auteur d’un acte qui, au moment où il l’a commis, ne faisait pas partie du catalogue des actions prohibées. Dans le même ordre d’idées, l’interprétation de la loi pénale doit toujours se faire dans un sens restrictif, afin d’éviter qu’une personne soit condamnée pour un acte qu’elle a pu croire conforme à la loi. Selon cette conception, il serait abusif de sanctionner quelqu’un s’il n’a pas, en parfaite connaissance de cause, désobéi au prescrit légal.

Si le code pénal et les lois pénales contiennent donc l’inventaire intégral de ce qu’il est interdit de faire (ou de ne pas faire), il n’en laisse pas moins ouverte la question de savoir ce qu’est une infraction. Aucune définition n’en est effectivement donnée par notre droit. Est-il malgré tout possible de caractériser une infraction ? Et, si cette notion renvoie spontanément à celle du mal, tout ce qui est immoral est-il ipso facto illégal ?

Sans épuiser le sujet, on peut dire que ce qui constitue une infraction implique par principe un tort, une faute. Pas seulement celle d’avoir commis ce qui était défendu, car ce qui l’est pourrait avoir été choisi arbitrairement. Mais la sélection des crimes et délits ne doit rien au hasard : il s’agit toujours d’actions réprouvées par la morale, d’actes anti-sociaux, portant atteinte à la possibilité même d’un  » vivre ensemble  » pacifique, sinon harmonieux. L’interdit légal ne relève donc nullement d’un caprice du Prince, mais au contraire d’un très large consensus à propos d’un noyau de valeurs communes dont le respect indispensable est une condition de survie d’une société civilisée. Il ne se conçoit donc pas d’ériger en infraction des actes qui ne revêtent aux yeux du public aucun aspect répréhensible, qui ne suscitent ni émoi, ni scandale ni réprobation. Et cela pour la simple raison que la loi perdrait tout crédit à interdire inutilement. Pour être suivie d’effets, pour être respectée, ne faut-il pas en effet qu’elle emporte l’adhésion de ses destinataires ? La force de la loi est ainsi contenue dans la valeur même de ce qu’elle défend. Et l’obéissance que lui vouent ses sujets tient bien davantage au fait que ce qu’elle protège nous paraît digne de protection qu’à la peur du gendarme… En termes plus abstraits, on dira que l’efficacité de la loi pénale est d’ordre essentiellement symbolique : sur 100 personnes, il s’en trouvera une très grande majorité qui l’appliquent parce qu’elles l’approuvent, quelques-uns que la menace de la sanction retiendra et l’un ou l’autre pour lequel cette forme de dissuasion ne sera pas suffisante.

Mais si, d’une certaine manière, tout ce qui est illégal est immoral, l’inverse n’est certainement pas vrai. D’abord, tout ce qui relève du for intime échappe à la sanction pénale : je peux nourrir des envies de meurtre à longueur de journée mais, si je ne passe jamais à l’acte, je suis indemne de tout reproche sur le plan légal. Il faudra, en d’autres termes, une extériorisation de ma volonté pour que je sois contraint de me justifier. Ensuite, nombre de comportements indélicats, lâches, malveillants, mesquins sont moralement reprochables sans tomber sous le coup d’une incrimination.

C’est que la loi pénale n’a pas pour vocation de faire de nous des saints, mais simplement de permettre la vie en société. C’est donc à l’aune du tort social, à la mesure des nuisances potentielles d’un acte pour la société globale que le législateur fera choix d’intervenir. Ce parti pris, on le verra, entraîne de graves conséquences…

M.-C.R.

La loi pénale a simplement pour but de permettre la vie en société

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