Lors du match-test au stade Lusail, qui accueillera la finale. © FJO

Un Mondial au Qatar « zéro carbone » ? « Pas crédible ! »

François Janne d'Othée

Les organisateurs du Mondial au Qatar se défendent en évoquant un bilan «zéro carbone». Mais la crédibilité du slogan est mise en cause.

Au stade Ahmad bin Ali, encore tout vide, et qui attend les Diables Rouges pour deux rencontres (contre le Canada et la Croatie), une sorte de professeur Tournesol version arabe s’agite autour de la maquette de l’édifice: «C’est ici que j’emmène mes étudiants!», s’enthousiasme Saud Ghani, professeur de techno- logies de refroidissement à la Qatar University. La raison est simple: cet Anglo-Soudanais, surnommé Dr Cool, est l’âme de ce projet qui semble nier frontalement le réchauffement de la planète: la climatisation des stades.

«Pour nous, l’environnement est très précieux, et le développement durable est gravé dans notre vision stratégique nationale pour 2030», tente-t-il de rassurer. Oui, mais climatiser un stade, n’est-ce pas un peu absurde, professeur? «Les gens pensent que nous utilisons du gaz à volonté pour injecter de l’air froid dans un espace ouvert, mais c’est plus complexe que cela. On ne refroidit pas tout le volume du stade, on bloque l’air chaud de l’extérieur et on crée une petite nappe d’air froid à l’endroit où les joueurs se trouvent, c’est-à-dire pas à plus de deux mètres.» D’après lui, cela ne consomme pas plus qu’un hall d’aéroport, d’autant que le Mondial se déroulera sous des températures plus clémentes.

Les gens pensent que nous utilisons du gaz à volonté pour injecter de l’air froid dans un espace ouvert mais c’est plus complexe que cela.

«La principale source d’énergie du stade ne sera d’ailleurs pas la combustion du gaz, mais une gigantesque ferme solaire à l’extérieur de Doha», poursuit Saud Ghani, visiblement passionné par le sujet. Il raconte qu’un plan solaire destiné à couvrir 10% des besoins énergétiques de l’émirat est en gestation, mais difficile à déterminer si cela dépassera le simple énoncé.

Le pire bilan carbone

Or, il y a urgence: poussé par ses réserves fabuleuses de gaz, le Qatar enregistre le pire bilan carbone de la planète. La Coupe du monde ne fera qu’alourdir le passif. Selon un rapport commandé par la Fifa, la compétition devrait générer 3,6 millions de tonnes équivalent CO2, contre 2,3 millions lors de la précédente édition en Russie, en 2018. La vaste majorité (95%) provient d’émissions indirectes, liées essentiellement au transport, à la construction des infrastructures et au logement. La climatisation ne pèse pas lourd dans le bilan, alors qu’elle a focalisé l’attention de tous ceux qui, comme l’ancien footballeur Eric Cantona, ont dénoncé une «aberration écologique».

La réponse du Qatar? «Ce sera un Mondial zéro carbone!», annonce le Comité suprême. Cette instance, coorganisatrice de l’événement avec la Fifa, parle de réduire et de compenser toutes les émissions de gaz à effet de serre associées au tournoi. Mais cette intention est battue en brèche par des ONG environnementales, qui lui reprochent d’ignorer certaines sources majeures d’émission, comme la construction de sept nouveaux stades.

«L’affirmation de neutralité carbone n’est tout simplement pas crédible», affirme Gilles Dufrasne, de l’ONG Carbon Market Watch, auteur d’un rapport sur la question. Selon lui, une nouvelle norme a été créée spécialement pour le tournoi, «ce qui soulève des questions sur l’indépendance du système». D’après ses calculs, ce n’est pas 3,6 mais cinq millions de tonnes équivalent CO2 qui seront émises durant le Mondial. D’autre part, le système d’achat de crédits carbone n’empêche pas d’émettre des gaz à effet de serre.

Le stade 974 est érigé en modèle par les organisateurs: outre qu’il est dépourvu de climatisation, il sera entièrement démontable. L’opération paraît aisée: l’arène est bâtie à partir de 974 conteneurs, 974 comme le code téléphonique du Qatar. Chaque conteneur est marqué d’un code couleur: bleu pour les buvettes, jaune pour les toilettes, rouge pour les business lounges, vert pour le médical, gris pour l’espace prière… Le remontage, en tout ou en partie, dans des pays tiers, devrait s’en trouver facilité. Mais aucun plan n’est encore sur la table. Pis, «si le stade n’est déplacé qu’une seule fois, et à plus de 7 000 km, la construction de deux stades aurait probablement un impact écologique moindre», évalue Carbon Watch Market.

Pour Saud Ghani, le système d'air conditionné des stades est peu polluant.
Pour Saud Ghani, le système d’air conditionné des stades est peu polluant. © belga image

Le recyclage pose question

Les autres stades pourront être reconvertis en centres sportifs, bureaux, cliniques, hôtels… «Notre but est d’éviter les éléphants blancs comme au Brésil, où on a construit d’énormes stades, mais dont l’héritage est très lourd car leur capacité est sous-utilisée», souligne le professeur Ghani. Situé à proximité du métro, le complexe Ahmad bin Ali sera ainsi réaménageable en salles de karaté ou de boxe. «Nous voulons que ces surfaces deviennent des centres d’attractions pour les quartiers, afin que les gens se mettent au sport et l’apprécient. Dans notre région, nous avons un taux élevé d’obésité et d’hypertension. Si vous avez des citoyens en bonne santé, alors vous avez une société qui l’est également et qui va de l’avant.»

Un Mondial aux stades proches

Ce recyclage pose toutefois question, et ne serait pas évalué à sa juste mesure. Dans son rapport, Carbon Market Watch cite l’exemple du stade Al Janoub de 40 000 places, qui sera réduit à 20 000 places après le tournoi pour accueillir une équipe locale. «Si celle-ci ne parvient pas à remplir le nouveau stade, la capacité supplémentaire sera gaspillée. Et qu’adviendra-t-il du stade qu’elle utilisait auparavant?», interroge l’ONG. Evaluer la crédibilité des plans d’héritage n’est pas chose aisée. Les projets doivent répondre à une demande de la population, difficilement quantifiable à l’avance, mais dépendent aussi de l’intérêt des entreprises à investir dans l’entretien des infrastructures.

Néanmoins, c’est la première fois que des stades de Coupe du monde seront aussi proches – ils sont tous dans la capitale –, ce qui diminuera l’empreinte carbone des déplacements. Revers de la médaille, la pression sera d’autant plus forte sur la capacité hôtelière de Doha. Solution trouvée: les supporters sur le carreau pourront loger à Dubaï, aux Emirats arabes unis, et Riyad, en Arabie saoudite. Les autorités ont prévu un pont aérien de plus de 150 vols quotidiens. De l’art de déplacer… l’empreinte carbone.

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