Pourquoi la petite ville de Bakhmout est l’épicentre de la guerre en Ukraine (et du pouvoir interne russe)

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La petite ville de Bakhmout, dans le Donbass, est devenue un carrefour central de la guerre en Ukraine. Les Russes, le groupe Wagner et les Ukrainiens y laissent beaucoup de forces. Pourquoi un tel acharnement ?

Une petite ville concentre toute l’attention de la guerre en Ukraine. Sur le terrain des opérations militaires, les forces russes maintiennent la pression en vue de tenter de s’emparer de Bakhmout, une ville de l’est du territoire ukrainien dans les environs de laquelle des combats font rage depuis l’été.

« L’ennemi continue de concentrer ses principaux efforts sur la conduite d’actions offensives dans le secteur de Bakhmout », a signalé l’état-major de l’armée ukrainienne. Les Russes avaient auparavant revendiqué la prise de trois villages près de cette cité qui comptait 70.000 habitants avant la guerre et qui est aujourd’hui en grande partie détruite.

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Cette bataille a pris une importance d’autant plus symbolique pour Moscou que la conquête de Bakhmout, avec l’appui du groupe paramilitaire Wagner, arriverait après une série d’humiliantes défaites, avec les retraites de Kharkiv (nord-est) en septembre et de Kherson (sud) en novembre.

La ville de Bakhmout est complètement détruite, et les tranchées qui l’entourent constituent actuellement le centre de gravité de la guerre en Ukraine. Les combats qui s’y déroulent atteignent des niveaux jamais observés depuis le début de l’invasion russe. Les images diffusées sur les réseaux sociaux montrent des conditions épouvantables, avec des soldats marchant avec de la boue jusqu’aux genoux et des températures négatives, même en journée.

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En réalité, l’offensive russe sur Bakhmout, centre régional de la province de Donetsk, a commencé il y a quatre mois déjà, le 1er août. Bakhmout constitue un important carrefour routier et ferroviaire, où passent notamment les autoroutes vers la ville de Donetsk, Louhansk et la frontière russe. Un véritable point stratégique, donc.

Mais peu d’avancées ont été réalisées depuis le début de l’offensive. « L’armée russe n’a rien appris des campagnes précédentes qui ont coûté d’innombrables vies », note notamment le groupe de réflexion américain Institute for the Study of War (ISW). La Russie y a appliqué sa tactique préférée : d’abord bombarder avec l’artillerie, puis envoyer l’infanterie.

Guerre en Ukraine: la Russie en mode kamikaze

Aujourd’hui, l’armée russe continue dans cette optique, mais avec moins d’obus d’artillerie car ses stocks commencent à diminuer. Les forces armées mobilisées s’enlisent face aux défenses ukrainiennes. En principe, une armée moderne utilise des tactiques et des armes variées. Plusieurs types d’armées et de systèmes travaillent ensemble. Mais cela nécessite des troupes bien entraînées et bien dirigées. Ce que la Russie n’a pas. Ils continuent donc à tirer des grenades aveuglément ou presque, causant d’innombrables dégâts.

Un médecin ukrainien de l’hôpital militaire de Bakhmout décrit dans le New York Times la ‘stratégie’ russe: « Les soldats mobilisés prennent une arme et avancent tout droit comme à l’époque soviétique. Quand ils sont abattus, le suivant arrive et ils font exactement la même chose. »

Fin octobre, le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait déjà qualifié l’offensive de Bakhmout de « folie du commandement russe ». Les estimations ukrainiennes et occidentales, étayées par des images du champ de bataille, parlent de centaines de morts russes par jour.

Ces dernières semaines et ces derniers jours, les correspondants de guerre russes font état de quelques progrès dans certains villages au sud de la ville. L’augmentation des combats indique que la Russie est désormais susceptible de déployer autour de Bakhmout des troupes plus expérimentées, retirées de Kherson. Les Ukrainiens risquent également de subir de lourdes pertes, même s’ils sont susceptibles d’être mieux équipes face aux conditions hivernales, grâce à l’aide occidentale.

Symbolique et enjeux internes en Russie

Enfin, la question est de savoir pourquoi cette petite ville concentre autant d’efforts militaires. Il n y’a a priori pas d’explications rationnelles. Car même si l’Ukraine décidait finalement de se retirer, une ceinture défensive encore plus forte est présente autour de grandes villes comme Sloviansk et de Kramatorsk. La Russie s’est enlisée à Bakhmout, qui semble devenir un objectif plus symbolique que véritablement stratégique. Les Russes ont besoin d’un « trophée » pour reprendre confiance. Au risque d’y laisser des milliers de vies.

Bakhmout est aussi considéré comme le champ de bataille privé de l’armée mercenaire du groupe Wagner. Evgueni Prigojine, patron du groupe Wagner et considéré par certains comme le « chef » de Poutine, a recruté dans les prisons russes pour utiliser les criminels comme de la « chair à canon ». Il est donc possible que Bakhmout soit également devenu un lieu de lutte de pouvoir interne de la Russie. Prigojine semble déterminé à accroître son influence au Kremlin et à prouver, contrairement à l’armée régulière, les troupes de Wagner sont capables de remporter des succès.

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