Anne Lagerwall

L’Holodomor, la famine subie par la population ukrainienne durant les années 1932-1933, un génocide?

Anne Lagerwall Professeure de droit international à l'ULB

L’Holodomor désigne la famine subie par la population ukrainienne durant les années 1932-1933 en raison de la politique de collectivisation imposée dans les campagnes par le régime soviétique. Cette famine a fait plusieurs centaines de milliers de victimes parmi les populations paysannes en Ukraine mais également en Biélorussie, au Kazakhstan, en Sibérie et ailleurs.

La Chambre des représentants a adopté, le 9 mars, une résolution par laquelle elle «reconnaît la famine expressément provoquée par le régime soviétique en Ukraine en 1932-1933, l’Holodomor, comme un génocide visant le peuple ukrainien». Si on peut parfaitement comprendre le souci de se souvenir de cette tragédie, la qualification retenue ne manque pas d’interpeller.

D’abord, cette qualification soulève une difficulté fondamentale parce qu’elle suppose de désigner des faits par un terme qui n’existait pas au moment de leur commission. C’est en 1948 que ce terme est défini dans la Convention internationale pour la prévention et la répression du crime de génocide à laquelle la résolution votée la semaine dernière se réfère d’ailleurs. Cette convention ne s’applique pas à des événements qui se sont déroulés avant son adoption ou son entrée en vigueur, pour éviter notamment qu’une personne se trouve condamnée pour des actions ou des omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne pouvaient être qualifiées comme telles.

Ensuite, cette qualification suppose d’établir, dans le chef des responsables, une intention génocidaire. Cette intention très spécifique est celle «de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel», comme le prévoit la Convention de 1948. Cela signifie que des actes provoquant la mort de milliers de personnes, même lorsqu’ils sont perpétrés avec la conscience qu’ils pourraient provoquer toutes ces morts au sein du groupe visé, ne suffisent pas en soi à établir une intention génocidaire. C’est précisément ce que le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a indiqué, en 2001, dans l’affaire Krstić, du nom du chef d’état- major de l’armée serbe de Bosnie condamné à 35 ans d’emprisonnement pour crime de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre dans le contexte des opérations menées à Srebrenica: «Ainsi, une campagne aboutissant au massacre, en différents lieux d’une vaste zone géographique, d’un nombre fini de membres d’un groupe protégé pourrait ne pas mériter la qualification de génocide, en dépit du nombre élevé de victimes, parce qu’il n’apparaît pas que les meurtriers aient eu l’intention de s’en prendre à l’existence même du groupe, comme tel.» C’est dire combien la qualification de génocide doit reposer sur une analyse fouillée des actes, des discours, des documents et des circonstances factuelles entourant les événements en question.

Les travaux préparatoires de cette résolution suggèrent qu’il s’agit surtout d’une reconnaissance politique. Mais il est parfois bien délicat de distinguer le débat politique du débat juridique. Plus fondamentalement, on peut se demander s’il s’agit bien là du rôle des parlements nationaux et si de telles initiatives ne sont pas susceptibles, paradoxalement, de cadenasser les analyses historiques et juridiques des pages particulièrement douloureuses du passé et du présent de nos sociétés.

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