Arturo Valenzuela © Reuters

« Trump semble obsédé par la destruction de l’héritage d’Obama »

Ernesto Rodriguez Amari
Ernesto Rodriguez Amari Journaliste et Politologue

Nos confrères de Knack se sont entretenus avec Arturo Valenzuela, le vice-ministre des Affaires étrangères d’Obama. Sous la présidence de Bill Clinton, il veillait déjà sur les relations entre les États-Unis et le Mexique.

Lors de sa présidence, Obama a évoqué les contacts avec Cuba. Le président Trump empruntera-t-il ce chemin ou décidera-t-il de fermer les ouvertures créées par Obama dans l’embargo commercial avec Cuba ?

Arturo Valenzuela: L’une des plus grandes cicatrices laissées par la Guerre froide en Amérique latine, c’est l’histoire de Cuba. Pendant le mandat du président Obama, nous avons travaillé dur pour modifier la stratégie politique envers notre voisin du sud. Quand j’étais vice-ministre des Affaires étrangères, j’ai dû constater que les administrations précédentes avaient fourni peu de résultats. Au contraire, la vie des Cubains n’a fait qu’empirer. Cuba s’est isolée encore davantage, et le rêve de faire de Cuba une démocratie, semblait devenue une utopie. Ensuite, Obama a tenté de développer une politique plus productive axée davantage sur l’ouverture, l’échange et la compréhension mutuelle. La démocratie ne peut être installée de l’extérieur dans un pays, mais Obama a estimé que les États-Unis pouvaient aider la société cubaine à obtenir un changement politique en assouplissant l’embargo commercial. Aujourd’hui, je crains que les intransigeants de l’embargo commercial cubain aient accès à la Maison-Blanche. Il est fort probable que certaines mesures d’Obama prises à l’égard de Cuba soient annulées. Beaucoup de rumeurs circulent sur la politique de Trump: il faut annuler tout ce qu’Obama a changé. Le président Donald Trump éprouve en effet une jalousie immense à l’égard de la popularité du président Obama. Il semble obsédé par l’idée de détruire l’héritage d’Obama.

Comment sont les relations entre les États-Unis et l’Amérique latine ?

Il y a beaucoup d’incertitude au sujet de la future politique en matière de relations avec l’Amérique latine. La seule chose qui semble sûre, c’est que le président Trump souhaite se retirer de l’accord de partenariat transpacifique. Il est clair que le président Trump connaît mal l’Amérique latine. Bon, un président ne peut pas tout savoir, d’autres pays sont prioritaires pour lui. Mais manifestement, il ne dispose pas de bon conseiller pour cette matière. Du coup, lors de la conférence de presse avec le président colombien Juan Manuel Santos, il n’a guère su dire plus que la Colombie est un bon allié pour les États-Unis alors qu’il y a eu des années de coopération intensive entre les États-Unis et la Colombie dans leur lutte contre la maffia de la drogue et les mouvements de rebelles.

Qu’est-ce qu’il se passerait si le président Trump décidait de négliger l’Amérique latine? D’autres grandes puissances telles que la Chine et la Russie vont-elles essayer d’agrandir leur zone d’influence en Amérique latine ?

Quand j’allais en Chine ou en Europe, on m’a souvent posé cette question. Tout le monde me demandait ce que je pensais de la présence de la Chine en Amérique latine. D’après moi, il est primordial que l’Amérique latine entretienne des relations commerciales avec un maximum de partenaires. Plus ils vendent des matières premières, plus ils importeront de produits. Étant donné que 40% de l’export américain va à l’Amérique du Sud, c’est également à l’avantage des États-Unis. Il y a encore du pain sur la planche pour aboutir à un monde globalisé avec des règles transparentes et claires. Jusqu’à présent, on révèle encore trop de grands scandales de corruption. Les institutions internationales devront faire en sorte que les règles soient formulées de manière plus précise, même si ce n’est pas le président Trump qui prendra l’initiative.

Comment se fait-il que l’Amérique latine se débat à ce point dans les scandales de corruption?

Il est clair que l’Amérique latine est toujours coincée par la Guerre froide. Évidemment, les deux guerres mondiales ont également joué un rôle, mais durant les années soixante, septante, et quatre-vingt, il n’y a que trois pays du continent qui ont réussi à éviter qu’un régime autoritaire militaire accède au pouvoir: le Costa Rica, la Colombie et le Venezuela. Il n’est pas évident d’appliquer la logique d’un état de droit dans des pays qui souffrent toujours des séquelles de structures militaires autoritaires. Un état de droit ne naît qu’au moment de l’installation effective d’une démocratie pourvue d’institutions fortes. Vu que beaucoup de pays latino-américains possèdent de faibles institutions démocratiques, ils ne sont pas les dispositifs nécessaires pour lutter contre la corruption. Aujourd’hui, on semble tout de même assister à un revirement positif. Au Brésil, le pouvoir judiciaire essaie tout de même d’enquêter avec une certaine dose d’indépendance, ce qui jette le discrédit sur plusieurs partis politiques. Cela renforce l’indépendance des différents pouvoirs. Les chances d’aboutir à une véritable démocratie augmentent.

Le président Trump ne semble pas prêt à se tenir aux accords internationaux ou à participer à des initiatives d’organisations internationales. Devons-nous nous en inquiéter ?

Cette situation est inquiétante, mais ce n’est pas la première fois que cela arrive. Le rôle des États-Unis dans l’ordre mondial international ne peut jamais être vu indépendamment de la politique nationale. Il y a deux grands partis dans le pays. Si le premier parti gagne, ils feront des déclarations extrêmes, mais la deuxième année il y a déjà des élections parlementaires intermédiaires et il faut donc faire en sorte que les électeurs modérés ne passent pas à l’autre parti. Trump choisira la voie dure, mais il faudra qu’il soit indulgent et plus diplomatique. Je ne crois pas qu’au bout du compte il pourra réaliser beaucoup de ses promesses de campagne.

On en a déjà beaucoup parlé, mais que pensez-vous du fameux mur que Donald Trump souhaite ériger entre les États-Unis et le Mexique ?

Je pense que le président Trump ne trouvera jamais suffisamment de moyens financiers pour réaliser son plan. Il faudrait alors aussi qu’il soit approuvé par le Sénat et la Chambre des représentants des États-Unis et je doute fort qu’ils le fassent. Si je suis sincère, je dois dire que le président Trump utilise ce mur surtout comme un moyen de campagne et qu’il continue à le répéter et le souligner pour atteindre ses électeurs les plus extrêmes. La frontière littérale qu’il compte construire entre les États-Unis et le Mexique cadre aussi dans son discours de dresser une frontière figurée entre les Américains et les latinos. En stigmatisant les migrants, Trump attire un certain groupe d’électeurs. Trump ne réalise pas que la majorité des Américains ont été migrants un jour et qu’avec ses déclarations il abîme la démocratie parce qu’il porte préjudice aux valeurs telles que l’égalité, les droits de l’homme, etc. Nous voyons aussi que dans sa proposition de budget, Trump a uniquement repris la fortification de la frontière avec notamment les postes de frontières supplémentaires. Le budget dont il a besoin pour construire ce mur n’est pas du tout estimé. Le Mexique a catégoriquement clarifié sa position à ce sujet. De son côté, Trump voit tout cela comme un bon homme d’affaires. Il sait que s’il dit mille fois que le Mexique paiera le mur, cela n’arrivera pas, mais il sait qu’il aura la chance de faire de bonnes affaires pour le traité de libre-échange entre le Mexique, le Canada et les États-Unis.

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