Theresa May © Dino

Theresa May et les élections à l’issue plus incertaine que prévu

Frank Vandecaveye
Frank Vandecaveye Journaliste free-lance

Il y a cinq semaines, Theresa May affichait encore une avance de 20%, mais à dix jours du scrutin, la « landslide victory » de Theresa May parait plus éloignée que jamais.

Il y a cinq semaines, le parti conservateur de la Première ministre Theresa May avait encore une avance de 20% par rapport au Labour dans les sondages. Elle semblait absorber le parti anti-immigration UKIP, effondré suite à une guerre intestine.

Estimant le moment venu de concrétiser cette avance et d’organiser des élections anticipées, Theresa May a dissous son cabinet le 18 avril afin de renforcer sa majorité de 10 sièges (330 sur 650 sièges) dans la Chambre des communes. Elle a expliqué qu’en vue des négociations pour la sortie de l’euro prévues pour la mi-juin, elle avait besoin d’un mandat fort de l’électeur.

Du coup, la campagne Tory a été construite autour de Theresa May, censée être la dirigeante capable de mener le Royaume-Uni à travers les négociations houleuses du Brexit. Elle a choisi les slogans « Theresa May for Britain » et « Strong and Stable Leadership » et munie d’un programme social renforcé, May est partie faire campagne dans les bastions Labour de l’Angleterre du Nord-Est et du Pays de Galles afin de convaincre les électeurs Labour de la classe ouvrière. La campagne tournait autour de May au point que The Observer a constaté que les électeurs de ces districts rouges ayant l’intention de voter pour May ne connaissent même pas le nom du candidat Tory local.

Un parcours chaotique

Alors que la majorité absolue pour les Tories semblait facilement acquise, les bévues commises au sein du parti entraînent un parcours plus chaotique que prévu. Vendredi, le dernier sondage de YouGov/Times révèle que l’avance des Conservateurs s’est réduite à 5% et que le Labour affiche un taux de 38%. En outre, le sondage a eu lieu les jours après l’attentat de Manchester, lorsque le terrorisme et la sécurité, des thèmes généralement plus plébiscités par les Tories que par Labour, faisaient la une de l’actualité.

Même les marchés financiers ont sursauté. La livre a baissé parce que les courtiers en devises n’étaient plus sûrs du tout d’une majorité écrasante pour Theresa May à la Chambre des Communes et craignaient que les risques d’un Brexit dur augmentent. Dimanche, la tendance inversée a été conformée par un sondage de Telegraph ORB International. Labour réduit l’écart avec les Tories (38/44%) à 6%, alors que début mai, celui-ci était encore à 15%.

Le sondage révèle que ce sont surtout les électrices qui changent de camp. Parmi elles, le Labour n’a qu’1% de retard par rapport au parti de la Première ministre. D’après un deuxième sondage du dimanche 28 mai, le culte de la personnalité autour de May a rendu la campagne Tory particulièrement vulnérable. Celui-ci révèle qu’en cinq semaines l’avance de May sur Corbyn s’est réduite de 56 à 22 points rating et l’avance de son parti conservateur de 19 à 10%. Les Tories sont toujours en tête avec 45% contre 35% pour Labour et 7% pour les libéraux-démocrates.

Bévue

Pour Jeremy Corbyn, « son message atteint enfin les électeurs », mais il doit surtout son succès à une bévue dans le manifeste électoral des Tories. Celui-ci mentionne un nouveau financement pour l’accueil des personnes âgées. Pour les conservateurs, cet accueil n’est plus payable parce que dans dix ans, le nombre de personnes de plus de 75 ans aura augmenté de deux millions. C’est pourquoi ils proposent que les personnes âgées nécessitant des soins les paient de leur poche jusqu’à ce que leur fortune ait atteint les 100 000 livres (130 000 euros). Aujourd’hui, ce seuil s’élève à 23 250 livres. Cependant, la nouvelle proposition inclut également la valeur de la maison pour ceux qui bénéficient de soins à domicile, même s’ils ne doivent pas vendre tant qu’ils sont en vie ou que leur partenaire est en vie. Le paiement des soins peut être reporté après leur mort ou de celui de leur partenaire et incomberait aux héritiers qui pourraient vendre la maison.

À l’heure actuelle, la maison n’est pas comptée dans le patrimoine des Britanniques qui bénéficient de soins à domicile. Du coup, la situation angoissait ces personnes. Le pire pour May c’était que cette proposition touchait surtout ses propres électeurs, car la majorité des électeurs votent conservateur. L’opposition Labour a baptisé la mesure ‘dementia tax’ , parce que ce sont surtout les personnes qui nécessitent des soins de longue durée comme les patients atteints d’Alzheimer et leurs enfants qui paieront les pots cassés. La proposition a fait la une de tabloïds et les réseaux sociaux. Comme les conséquences se sont immédiatement fait sentir dans les sondages, May a décidé de corriger la proposition lors d’une conférence de presse le lundi 22 mai. Elle a annoncé un rapport qui étudierait la nécessité de plafonner les soins que les patients doivent payer. Un virage en épingle à cheveux, que la presse lui a durement reproché. Et son slogan ‘strong and stable leadership’ en a pris pour son grade, car si la panique l’incite à changer aussi facilement la position de son parti, Theresa May est-elle la personne indiquée pour mener les négociations du Brexit ?

Manchester

L’attentat terroriste de Manchester a suspendu la campagne électorale pendant trois jours et détourné l’attention du virage de May. La priorité accordée à la sécurité sociale a rapporté un immense avantage au Labour. Et si la mise en avant de la lutte contre le terrorisme et la sécurité ont permis à May de marquer des points, Corbyn a immédiatement confronté May à sa responsabilité. Lorsqu’elle était ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Cameron, elle a effectivement supprimé 20 000 postes dans la police. Très rapidement, il a proposé de renforcer la police. Et il a imputé la menace terroriste croissante sur le sol britannique à l’ingérence du Royaume-Uni dans les guerres dans les pays musulmans que sont la Libye et la Syrie.

Peu d’observateurs estiment que Corbyn et son Labour aient une chance de remporter ces élections. Cependant, dans la plupart des sondages, il obtient des résultats beaucoup plus élevés que son prédécesseur Ed Miliband qui a perdu contre David Cameron avec à peine 30,4% des voix. Corbyn est surtout populaire auprès de la base de son Labour et attire beaucoup de monde à ses meetings. Il est nettement de gauche, pacifique et donc réticent par rapport à l’OTAN et opposé à l’énergie nucléaire. Cependant, beaucoup de parlementaires Labour pro-européens lui reprochent d’avoir trop peu fait campagne pour éviter le Brexit – 40% des électeurs Labour ont voté pour le Brexit- et d’adopter une attitude irrésolue à l’égard du Brexit.

May était opposée au Brexit, mais afin de garder l’unité dans son parti, elle a rassemblé les adeptes et les opposants de son parti derrière la volonté du peuple de sortir de l’UE. En remportant une ‘landslide victory’, elle avait espéré élargir la majorité tory à la Chambre des communes et renforcer la position dans le Parti conservateur contre les adeptes durs du Brexit. À dix jours des élections, la ‘landslide victory’ destinée à faire le plein de confiance pour entamer les négociations du Brexit semble plus éloignée que jamais. Les risques d’une chute de la livre ont à nouveau augmenté.

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