A Lviv, les files se multiplient devant les commerces © Getty

Témoignage depuis l’Ukraine: « Ici, beaucoup de gens sont prêts à mourir »

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Marianna habite à Lviv, une ville proche de la frontière avec la Pologne, épargnée jusqu’à présent par les bombardements. Mais la vie quotidienne ne s’en retrouve pas moins chamboulée: files dans les magasins, pénuries… Pourtant, elle ne compte pas fuir. Témoignage.

Elle habite Lviv, cette ville de quelque 800 000 habitants située à l’ouest de l’Ukraine, à environ 70 kilomètres de la frontière polonaise. Ce vendredi matin tôt, les sirènes ont retenti à deux reprises, sortant les habitants de leurs rêves cauchemardés : des attaques russes contre des bases militaires se produisaient à quelques dizaines de kilomètres. Ce matin, la ville est calme. A l’absence d’embouteillages, traditionnels en début de matinée, on comprend que tout ne se passe pas comme d’habitude. « C’est l’un des lieux les plus calmes d’Ukraine en ce moment », se réjouit pourtant Marianna.

Jeudi, les habitants faisaient la file pour s’approvisionner dans les boutiques : de la farine, du lait, du sucre, des allumettes et des piles, pour les lampes de poche. Mêmes attentes pour s’approvisionner en essence… Marianna et son époux tiennent un magasin de matériel de camping et de sports extérieurs. Hier, toutes les bonbonnes de gaz qu’ils avaient en stock ont été achetées. Elles peuvent être utiles pour faire fonctionner de petits réchauds, faciles à déplacer. Au cas où… Des soldats sont venus chercher quantité de sacs à dos et sacs de couchage.

Partout, des gens s’activent pour préparer des lieux d’accueil. Ils savent que des milliers d’Ukrainiens sont en train de fuir l’est du pays en direction de l’ouest. Il faudra les loger, les nourrir, les aider. Certains sont déjà là, d’ailleurs. Tous les lieux collectifs sont investis, comme les écoles.

Marianna ne compte pas fuir. Ses deux grands enfants, de 15 et 18 ans, sont à l’abri chez sa belle-soeur, dans un village de montagne. Mais plusieurs de ses amis ont poussé leurs enfants à quitter le pays et à gagner la Pologne toute proche. Beaucoup d’Ukrainiens y ont des amis ou de la famille, qui peuvent les héberger. A la frontière polonaise, des milliers d’entre eux patientent, pressés de fuir la guerre. Certains d’entre eux viennent de Kiev : il leur a fallu 20 heures pour parcourir, en voiture, les quelque 500 km qui séparent la capitale de Lviv.

Ce matin, le mari de Marianna va s’enregistrer comme volontaire non militaire pour défendre le territoire du pays. Tous les hommes de 18 à 60 ans sont mobilisés, soit dans l’armée, soit comme appui civil. Mais tous seront armés.

Du peuple russe, Marianna n’attend pas grand-chose. « Les Russes sont majoritairement informés par des médias contrôlés par l’Etat, détaille Marianna. Ils croient dur comme fer que le combat de Poutine est juste, légitimé par la nécessité de mettre les Ukrainiens au pas. Or Lviv est considérée par les Russes comme une ville rebelle, la plus rebelle du pays, peut-être. A leurs yeux, nous sommes leurs pires ennemis ».

« Si les combats s’opèrent au sol, l’armée ukrainienne et les volontaires parviendront à contenir les Russes, assure-t-elle. Mais pas s’ils attaquent par le ciel. Vous, l’Europe, vous devez empêcher l’accès des Russes au ciel, si vous le pouvez. C’est du ciel que vient le plus grand danger pour les civils. ». Elle se tait longuement. « J’ai peine à croire que je suis en train de vous dire ça. C’est surréaliste. Il y a quelques jours encore, on n’imaginait pas une seconde se retrouver dans une telle situation… Prenez, en Europe, toutes les initiatives imaginables pour faire le plus de mal possible à la Russie, sur le plan financier et en lui coupant l’accès au réseau de transactions bancaires Swift. Ici, beaucoup de gens sont prêts à mourir. Alors, pour que ça vaille la peine, vous, de votre côté, faites tout ce que vous pouvez. On compte sur vous. »

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