Moscou met en garde la Turquie contre une offensive visant les forces syriennes © belga

Syrie: l’escalade russo-turque, une menace pour l’Europe

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Le revers militaire turc en Syrie conduit le président Erdogan à pratiquer à nouveau sa politique de chantage aux réfugiés. Enjeux d’une crise à hauts risques.

Jusqu’où ira l’escalade d’Idleb ? Le drame humanitaire en cours dans cette province syrienne se double d’une crise diplomatique internationale majeure. Dernier bastion rebelle qui échappe au contrôle du régime de Damas, cette région du nord-ouest de la Syrie est le théâtre d’affrontements meurtriers entre les forces de Bachar Al-Assad, soutenues par l’aviation russe, et les rebelles et djihadistes épaulés par l’armée turque. Depuis le 1er décembre dernier, plus de 900 000 personnes, essentiellement des femmes et des enfants, ont dû fuir leur domicile situé dans les villes et villages de la zone, en raison des bombardements aveugles qui n’épargnent ni les logements, ni les écoles et les hôpitaux. Le régime de Damas, on le constate une fois encore, n’a pas d’état d’âme quant au sort de sa population : des enfants meurent de froid, les structures d’accueil des organisations humanitaires sont saturées et manquent de tout.

Néanmoins, l’armée syrienne, sortie renforcée de la chute d’Alep et résolue à reconquérir l’entièreté du pays, poursuit son offensive dans le secteur. La zone a pourtant été sanctuarisée par l’armée turque en vertu d’un accord russo-turc conclu en 2018 à Sotchi, en Russie. Mais l’arrangement, qui avait conduit à l’établissement de postes d’observation turcs dans la région d’Idleb, a volé en éclats ces dernières semaines et les deux camps se rejettent la responsabilité de la reprise des hostilités. Moscou accuse Ankara de soutenir les rebelles avec des tirs d’artillerie et des drones. Selon les Russes, l’un de ces drones turcs aurait été abattu au moment où il allait frapper les troupes syriennes. Nouvelle étape dans l’escalade ce 27 février : l’armée turque a subi ses pertes les plus importantes en une seule journée depuis sa première intervention militaire en Syrie, en 2016. Une frappe aérienne a tué au moins 33 soldats turcs à Balyoun, localité où ces militaires avaient trouvé refuge après un bombardement sur leur convoi. Des frappes de représailles ont ensuite été ordonnées par Ankara.

La Turquie et la Russie avaient pourtant renforcé leur coopération économique et militaire depuis 2016. En janvier, Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine ont inauguré le gazoduc TurkStream, qui acheminera le gaz naturel russe vers la Turquie et l’Europe. Ankara s’est par ailleurs doté de missiles antiaériens russes S-400, ce qui a irrité au plus haut point Washington et a embarrassé l’OTAN. Mais l’axe eurasien anti-occidental russo-turc, appelé à peser sur la scène proche-orientale et méditerranéenne, et à jouer les intermédiaires dans la crise Iran-Etats-Unis se fissure de plus en plus. En Syrie comme en Libye, Moscou et Ankara soutiennent des camps rivaux. Suite au revers turc dans la province d’Idleb, Erdogan a réclamé le soutien de ses alliés occidentaux, tout en réutilisant son principal moyen de pression sur les Européens : la menace de déclencher un afflux massif de réfugiés syriens, irakiens, pakistanais… vers l’Europe. Face à la décision turque de laisser passer des groupes de migrants, l’Union européenne n’a d’autre réponse que de demander à Ankara de respecter ses engagements pris dans le cadre du pacte migratoire conclu en 2016.

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