Infirmier et écrivain

Suivez le regard de Joseph Ndwaniye: le bonheur de l’errance au Rwanda (chronique)

Joseph Ndwaniye
Joseph Ndwaniye Infirmier et écrivain.

Joseph Ndwaniye est infirmier et écrivain. Il nous fait vivre son retour au pays des Milles collines.

Il y a plus d’un an, mon séjour au pays des Mille collines a été écourté par l’apparition de la Covid-19. Pour conjurer la frustration, j’ai décidé de refaire le voyage. J’avais besoin de me réapproprier cette terre quittée il y a trente-cinq ans. Contrairement à la fois précédente, personne ne m’attendait à l’aéroport. J’ai dû observer une quarantaine de vingt-quatre heures dans un hôtel en attendant le résultat du test. J’ai élu domicile dans une petite maison située dans l’ancien quartier des ambassadeurs et des fonctionnaires des organismes internationaux. Le charme y est désuet, mais le calme qui y règne me convient. Il m’est précieux pour l’écriture de mon prochain roman dont le récit empruntera les chemins que j’ai parcourus enfant.

Quasi seul – la plupart des hôtels du pays sont vides depuis plus d’un an – je me sens comme un VIP au milieu des plantes luxuriantes en cette fin de la grande saison des pluies. Le seul moment d’agitation est dû au culte du dimanche matin, mon logement étant attenant à une église protestante. Dès la première semaine, je décide de reconquérir cette ville qui ne cesse de croître. Tout m’échappe, je me sens perdu. Alors, tous les matins, je me lève avec le soleil et je cours dans sa direction en suivant l’accroissement de la ville, vers l’est. Ni les terrains de football des pères salésiens, ni l’ancien quartier Kimicanga ne sont plus là pour me servir de points de repère. Sur les uns s’élève à présent une école, l’autre a été transformé en un joli parc arboré. La déception est toujours la même. Le lendemain, je repars vers l’est, mais le soleil est déjà haut dans le ciel et la nouvelle ville qui s’allonge de plus en plus ne m’offre aucun indice de l’ancienne.

Les souvenirs de ma jeunesse

Alors ce dimanche matin, je décide d’arrêter, de changer de direction, de me diriger vers le sud. Au point culminant du centre de la ville, ma vue s’arrête sur deux collines: le mont Kigali et le mont Jali qui se regardent en chiens de faïence. Qu’y a-t-il derrière? La ville s’étend-elle aussi loin que du côté est? Je verrai plus tard. Je continue de descendre le versant sud. De loin, je reconnais l’ancienne prison 1930, nom qui correspond à l’année de sa construction. On m’apprend qu’elle a déménagé et qu’on va y ériger une cathédrale. Je retrouve le quartier populaire de Muhima et ses petits chemins que j’ai arpentés de nombreuses fois quand j’étais étudiant. Tout est presque à l’identique, la propreté en plus. Pas de sachets en plastique ni autres gobelets qui traînent.

Je continue mon chemin vers le bas de la ville, vers Nyabugogo. Par erreur, j’emprunte un chemin qui m’amène à traverser la cour d’une maison. Quel bonheur, j’y retrouve l’odeur des haricots rouges qui cuisent sur les braseros. Cette odeur qui avait disparu de ma palette olfactive me replonge dans ma jeunesse. Une femme m’indique la bonne direction. Cela fait une heure que je cours. Il est temps de rebrousser chemin. La montée est plus difficile que la descente. Je longe l’égout à ciel ouvert qui charrie les eaux usées légèrement mousseuses du haut de la ville. J’esquive in extremis la chute d’un avocat mur qui vient se fracasser dans le fond de l’égout. Soudain, une autre odeur familière s’invite dans mes narines. C’est celle du Sufro, le savon multiusage dont la fabrique se situait au centre-ville. Quand je rejoins mon logement, je me sens un peu plus chez moi. Demain, je retournerai au sud.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire