Mohamed Hamdan Daglo, le leader des Forces de soutien rapide et Abdel Fattah al-Bourhane, le chef de l’armée: une rivalité mortifère. © gettyimages

Soudan : une extension de la confrontation en Ukraine?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les combats entre l’armée et les Forces de soutien rapide traduisent l’hostilité entre les deux chefs de la junte, voire une lutte entre Washington et Wagner.

D’un côté, le général Abdel Fattah al-Bourhane, le chef des Forces armées du Soudan (FAS), fortes de 140 000 à 250 000 hommes. De l’autre, le général Mohamed Hamdan Daglo, dit «Hemetti», à la tête des Forces de soutien rapide (FSR), un groupe paramilitaire qui comprend entre 80 000 et 120 000 miliciens. Le 15 avril, la rivalité entre les numéros un et deux de la junte militaire au pouvoir à Khartoum depuis le coup d’Etat du 25 octobre 2021 a dégénéré en combats ouverts qui, en milieu de semaine, avaient fait près de deux cents morts.

Pour l’expliquer, quelques rétroactes sont nécessaires. Le 11 avril 2019, après quatre mois de manifestations de la population contre la dictature, le président Omar al-Bachir est renversé par l’armée. Un Conseil militaire de transition est mis en place. La contestation se poursuit. Les militaires sont contraints de transiger avec l’Alliance pour la liberté et le changement, émanation de l’opposition de la rue. Un civil, Abdallah Hamdok, devient Premier ministre. Un conseil souverain de transition, réunissant civils et militaires, est chargé de préparer des élections dans les trois ans. Le processus de démocratisation n’arrivera pas à son terme. Le 25 octobre 2021, les militaires reprennent l’entièreté du pouvoir. Abdel Fattah al-Bourhane, leader d’une armée qui ne s’est pas débarrassée de ses éléments islamistes fidèles à Omar al-Bachir, et Mohamed Hamdan Daglo, chef d’une force paramilitaire héritière des milices janjawid qui ont exécuté les basses œuvres du pouvoir lors de la guerre menée à partir de 2003 contre une rébellion dans la région du Darfour, sont contraints de faire front commun. Il ne durera pas. Ces derniers mois, les discussions sur l’intégration des Forces de soutien rapide dans l’armée a attisé un peu plus encore les tensions. Le numéro un voulait leur absorption complète sous son commandement. Son numéro deux n’acceptait l’intégration que si elle s’effectuait sous la tutelle d’un chef d’Etat civil et à condition que l’armée soit purgée de ses cadres islamistes.

Selon certaines sources, les combats entre les deux factions trouveraient leur origine dans l’encerclement, par les FSR, d’une base aérienne de l’armée régulière à Méroé, au nord du pays. Ils ont rapidement gagné la capitale et se sont étendus à de nombreuses villes importantes. Une grande partie des premiers combats ont eu pour théâtre des bases militaires et des aéroports, dont celui de Khartoum, dans la volonté, sans doute, dans le chef des troupes du général Hemetti, de briser la suprématie de l’espace aérien détenue par l’armée aux ordres du général al-Bourhane. La violence des affrontements a contraint une partie de la population à rester terrée chez elle et a entravé la circulation des produits alimentaires et, parfois, la distribution de l’aide humanitaire. Trois employés du Programme alimentaire mondial des Nations unies ont été tués lors de combats dans le nord de la province du Darfour.

Malgré les médiations annoncées de l’Union africaine et de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (l’Igad, qui regroupe Djibouti, l’Ethiopie, le Kenya, l’Ouganda, la Somalie, le Soudan et le Soudan du Sud), le risque de sombrer dans une guerre civile est réel, tant les positions entre les deux camps semblent inconciliables dans la durée. Car se greffent sur la rivalité entre les deux dirigeants des intérêts qui dépassent le cadre soudanais. Abdel Fattah al-Bourhane est soutenu par le puissant voisin égyptien et par les Etats-Unis. Mohamed Hamdan Daglo serait de mèche avec la société paramilitaire Wagner, et donc indirectement avec la Russie. «Ensemble, ils ont mis la main sur les mines du pays, deuxième production d’or en Afrique. C’est une des sources de financement de la guerre en Ukraine (NDLR: via les Emirats arabes unis, où est vendu le métal précieux)», assure le directeur de recherche au CNRS, Claude Rilly, dans une interview à L’Express. D’après le mensuel Jeune Afrique, ces tensions surviennent alors que les Etats-Unis, par l’entremise du patron de la CIA William Burns, auraient lancé une vaste opération pour réduire l’influence du groupe Wagner dans la région avec deux objectifs prioritaires: le dégager du Soudan et proposer au président de Centrafrique, Faustin-Archange Touadéra, de remplacer le soutien que le groupe de mercenaires lui apporte par une assistance militaire américaine. Si ces informations se vérifiaient, on serait au Soudan dans une forme d’extension de la confrontation Etats-Unis-Russie à laquelle on assiste en Ukraine.

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