Une réfugiée syrienne à Ketermaya au sud de Beyrouth © Reuters

« Sans action internationale, le Liban tombera dans les cinq mois »

Wided Bouchrika
Wided Bouchrika Journaliste free-lance

« Le Liban est en passe de traverser la plus grande crise humanitaire de l’histoire de l’humanité. Si la communauté internationale ne fait rien, le pays tombera dans les cinq mois » explique soeur Hanan Youssef qui aide à accueillir les millions de Syriens réfugiés au Liban.

Depuis 2001, la guerre en Syrie a fait fuir des millions de civils. Le Liban, qui compte environ 4 millions d’habitants a vu arriver deux millions de Syriens depuis le début du conflit. « C’est du jamais vu. Jamais encore un pays n’avait accueilli autant de réfugiés. Imaginez-vous la Belgique qui voit s’ajouter la moitié de sa population en quelques années » témoigne la religieuse.

Membre de la congrégation Notre-Dame de Charité du Bon-Pasteur, Hanan Youssef offre une aide médicale et psychologique aux victimes de guerre dans les faubourgs de Beyrouth. La religieuse souligne que le Liban a toujours accueilli les réfugiés les bras ouverts. « Cela a commencé par le génocide arménien, des Arméniens qui sont à présent libanais. Ensuite, il y a eu les Palestiniens en 1948, plus tard les Irakiens lorsque le pays s’est effondré avec la chute de Saddam Hussein et finalement les Syriens. Mais un pays n’a pas une capacité d’accueil illimitée ».

Lorsque les premiers réfugiés syriens sont arrivés en 2011, ils ont effectivement été accueillis à bras ouverts. « Au Liban, les Syriens ont pratiquement les mêmes droits que les Libanais, ils peuvent y travailler. Mais avec une telle affluence, les petites gens perdent leur boulot. Entre-temps, le niveau de vie de la population libanaise est devenu le même que celui des réfugiés. La situation devient difficile pour tout le monde ».

« Les terroristes se mélangent parmi les réfugiés »

« Si la communauté internationale ne prend pas rapidement des mesures, si elle n’aide pas le Liban à renforcer son infrastructure, tout sera perdu dans cinq mois » avertit Youssef. « On est en passe de traverser la plus grande crise humanitaire de l’histoire de l’humanité ».

Selon la religieuse, beaucoup de Libanais quittent le pays : pour laisser de la place dans un pays plein à craquer ou par précaution et crainte de ce qui arrivera. « Il n’y a pas suffisamment de contrôles aux frontières. Elles ont toujours été ouvertes aux Syriens et Libanais et il y a eu des abus : des terroristes se sont mélangés aux réfugiés et se sont établis dans tout le pays. Il y a eu des incidents, de la violence, des actes criminels, des meurtres ».

C’est pourquoi le Liban a introduit une mesure en 2015 dont Youssef estime qu’elle a été erronément qualifiée de « visa obligatoire pour les Syriens » dans les médias étrangers. « Ceux qui possèdent le statut de réfugié peuvent toujours passer librement. Les autres doivent demander une autorisation. Le pays tente d’établir un certain contrôle. La Syrie nous a sabotés en fermant les frontières pour notre commerce avec la Jordanie par exemple ».

« Si l’EI occupe Homs, le Liban suivra »

Le Liban a surtout peur d’un débordement de la guerre. « Si l’État islamique (EI) occupe Alep et Homs, c’est terminé. Après Homs, ce sera au tour du Liban » craint-elle. « Avec DAECH, plus personne n’a encore le droit d’exister : soit vous vous convertissez à l’islam, soit vous payer un impôt impayable, soit vous êtes assassiné, soit vous partez, ce qui est la seule véritable option ».

Crainte d’une nouvelle guerre civile

La religieuse craint également une nouvelle guerre civile au Liban. « Pour éviter un scénario semblable à ce qu’il s’est passé avec les réfugiés palestiniens (NDLR : ils n’ont jamais quitté les camps d’hébergement et des violences ont éclaté entre les chrétiens, les chiites et les sunnites), le Liban n’a pas dressé de camps pour les réfugiés syriens, ce qui signifie malheureusement aussi qu’il n’y a pas de contrôle et que les réfugiés sont répartis au hasard dans le pays » explique Youssef. « Les tensions entre les chiites et les sunnites, présentes dans tout le Moyen-Orient, se font sentir jusqu’au Liban. Les Hezbollah chiites se rangent derrière le président Bachar el-Assad pour éviter que les sunnites contrôlent le Liban. Mais les Syriens qui viennent se réfugier chez nous sont sunnites. Les grandes concentrations chiites sont établies en Iran persique, au Liban et en Irak. Elles sont opposées aux états du golfe sunnites qui à mon avis financent un peu le terrorisme ».

« Besoin d’une décision politique désintéressée »

« Il y a trop de silence autour du Moyen-Orient » estime Youssef. « Oui, on en parle dans les médias, mais il est frappant qu’aucune mesure ne soit prise. Entre-temps, toute une génération d’enfants syriens grandit sans formation et apprend à faire la guerre : quel avenir les attend ? On viole et vend des milliers de femmes : quel avenir les attend ? Sans parler des 150 000 morts. Où va-t-on ? » se demande Youssef.

« Nous ne nous sentons pas suffisamment concernés par cette situation, mais il s’agit de terroristes, des barbares qui tuent sans aucun remords. Si on les laisse prendre le Moyen-Orient, rien ne les empêchera de faire la même chose en Europe et aux États-Unis. Il faut une décision politique désintéressée » conclut Youssef. « 2015 est une année charnière, et l’avenir s’annonce sombre ».

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