Un camp de réfugiés sahraouis près de Tindouf en Algérie, en février 2023. © Getty Images

Sahara occidental: le Maroc remporte une victoire diplomatique mais rien n’est réglé

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Une résolution du Conseil de sécurité privilégie la voie marocaine de règlement du conflit au Sahara occidental. Mais les revendications des Sahraouis n’ont pas disparu. Les Américains ont-ils la clé de la paix?

L’adoption d’une résolution prolongeant d’un an le mandat de la Mission des Nations unies au Sahara occidental, ancienne colonie espagnole disputée par le Maroc et par le Front Polisario (Front populaire de la libération de la Saguia el-Hamra et du Rio de Oro), a suscité un grand enthousiasme au sein de la population et des cercles dirigeants marocains. Le texte érige, en effet, le «plan d’autonomie proposé par le Maroc» comme base privilégiée de discussion pour «parvenir à un règlement juste, durable et mutuellement acceptable du différend». Cette prise de position, même dépourvue de caractère contraignant, ne répond pas aux revendications du Front Polisario. Chercheur et enseignant en géopolitique, expert associé au Ceri-Sciences Po Paris, Adlene Mohammedi expose les tenants et les aboutissants de l’évolution dont témoigne la résolution du Conseil de sécurité.

Qu’est-ce que la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies du 31 octobre change dans l’appréhension du dossier du Sahara occidental?

Il faut rappeler qu’il s’agit d’une résolution du Conseil de sécurité qui concerne un point précis, à savoir la prorogation de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso). Elle est, de ce point de vue, performative. Pour ce qui est de l’autonomie dans le cadre de la souveraineté marocaine, elle n’est pas performative. Il est difficile de dire que cela aura des effets immédiats sur le terrain. Il est certain que le Conseil de sécurité a opéré un tournant puisque la notion d’autodétermination est évoquée de façon minimaliste, et que le plan d’autonomie présenté par le Maroc est considéré comme l’option à privilégier dans le cadre des négociations. C’est d’ailleurs une contradiction. La résolution n’est pas conforme au principe même d’autodétermination, qui implique un consentement du peuple saharaoui. Si on lui impose un cadre, ce consentement est forcément bridé. Par conséquent, le vote de cette résolution consacre les victoires diplomatiques marocaines obtenues auprès de la majorité des membres permanents du Conseil de sécurité, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France. Mais cela ne veut pas dire que tout change. Le Sahara occidental demeure un territoire non autonome. Je rappelle que même si le Conseil de sécurité tire sa légitimité du droit international (de la Charte des Nations unies), il ne dit pas forcément le droit. Deux juridictions européennes, en revanche, se sont appuyées sur le droit international et ont annulé des accords économiques entre l’Union européenne et le Maroc étendus au Sahara occidental (le tribunal de l’UE en 2021 et la Cour de justice de l’UE en 2024) au nom du principe d’autodétermination et de la notion de consentement du peuple sahraoui.

«Le Sahara occidental demeure un territoire non autonome.»

Ce vote réduit-il néanmoins la possibilité d’une autodétermination du Sahara occidental en dehors de la souveraineté du Maroc?

Cela fragilise en tout cas les acteurs qui tiennent à cette autodétermination, le Front Polisario, l’Algérie, membre non permanent du Conseil de sécurité qui n’a pas pris part au vote. Les Etats qui auraient pu empêcher l’adoption de cette résolution, la Russie et la Chine, ne l’ont pas fait. La Russie a expliqué qu’elle était défavorable à ce que la résolution contenait en termes d’alignement sur la position marocaine, mais elle ne voulait pas pour autant empêcher la prorogation de la Minurso. In fine, l’idée d’une autodétermination passant par un référendum est aussi fragilisée, c’est sûr, mais elle l’était déjà avant cette résolution. Le rapport de force était déjà favorable au Maroc et défavorable au Front Polisario.

L’Algérie argue qu’elle a réussi à adoucir la résolution par rapport à sa version originelle. Est-ce une façon de masquer son échec?

Les Marocains veulent voir dans cette résolution beaucoup plus que ce qu’elle représente vraiment. Et les Algériens veulent voir en elle le minimum possible. On est dans un jeu de communication, ce qui montre plus fondamentalement la fragilité du droit international qui est devenu une sorte de langue malléable où les principes sont mis de côté au profit des rapports de force les plus brutaux. Cette résolution du Conseil de sécurité ne reflète pas le droit international, elle reflète des rapports de force et la volonté de privilégier le droit du plus fort, ce que font aujourd’hui les Américains. De ce point de vue, le pouvoir algérien, qui voit bien que la Russie ne le soutient pas pleinement et qui doit faire preuve d’indulgence à l’égard des Américains, essaie de trouver une sortie honorable.

L’Algérie adoptera-t-elle la même attitude par rapport à la volonté de Donald Trump d’aboutir à un accord de paix global entre Rabat et Alger?

Il y a beaucoup d’imprévisibilité dans cette affaire. D’abord, sur le Sahara occidental, tout ne sera pas réglé du jour au lendemain. Les revendications des Sahraouis sont encore là. Ensuite, les relations algéro-marocaines ne se résument pas à ce dossier. Il y a eu des moments de réchauffement entre les deux pays, notamment il y a 20 ans, en dépit de la question du Sahara occidental. Enfin, un des points de bascule dans les relations algéro-marocaines récentes fut la normalisation de celles entre le Maroc et Israël, et en particulier la coopération sécuritaire entre les deux pays. Cela passe très mal à l’échelle de la région et de l’opinion publique marocaine. Et cela ne passe pas en Algérie. Cela étant dit, les Américains sont-ils capables d’imposer une normalisation entre les deux pays? Ils en ont les moyens car ils sont un interlocuteur privilégié tant du Maroc que de l’Algérie. Par ailleurs, on n’a pas deux coalitions opposées l’une à l’autre. Le Maroc entretient de bonnes relations avec la Russie, l’Algérie de même avec les Etats-Unis, notamment dans le secteur des hydrocarbures. De là à imaginer qu’une normalisation pourra être opérée si vite, le pari semble un peu trop audacieux, comme souvent avec l’administration Trump.

 

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