Le 23 juin, les Britanniques votent le Brexit. Un véritable choc pour l'Union européenne. © NEIL HALL/REUTERS

Rétro 2016 : Brexit, Italie,… L’Europe, de surprises en soupçons

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

La défection du Royaume-Uni ouvre la porte à une nouvelle histoire européenne semée d’incertitudes. Brexit « dur » ou Brexit « soft » ? Comment relancer l’Europe après le coup de gong, et alors que l’Italie replonge dans l’instabilité politique ?

Faudra-t-il reboucher le tunnel sous la Manche ? Renoncer à la crème anglaise ? Ne plus vouer un culte aux Monty Python, dont l’un des plus illustres membres, John Cleese, a été un ardent héraut du Brexit ? L’Europe s’est réveillée, le 24 juin, sous le choc du résultat du référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne. A près de 52 %, les Britanniques ont décidé de vivre leur destin hors de l’UE. C’est sans doute l’événement le plus marquant dans l’histoire de la construction européenne depuis l’effondrement du bloc soviétique et l’élargissement de l’Union aux pays d’Europe de l’Est.

Si l’impact économique du Brexit reste encore difficile à mesurer, ses causes, elles, sont bien connues. Les électeurs britanniques ont voté pour la sortie de l’Union avant tout parce qu’ils estiment que l’Europe les a privés du contrôle de leurs frontières et de leur politique migratoire. Un sentiment entretenu par la mouvance souverainiste et le gouvernement britannique lui-même. Les eurosceptiques ont aussi dénoncé à l’envi le  » déficit démocratique  » des  » décisions de Bruxelles « . La crise de la zone euro et celle des migrants ont nourri, outre-Manche, la vision d’un projet européen en plein naufrage, échec mis en parallèle avec le dynamisme retrouvé de l’économie britannique.

Un pied dehors

Boris Johnson, ex-maire de Londres, fut l'un des artisans du Brexit.
Boris Johnson, ex-maire de Londres, fut l’un des artisans du Brexit.© ED SYKES/REUTERS

Partout en Europe, le séisme risque de donner un nouvel élan aux mouvements populistes et séparatistes. En revanche, il n’y aura pas de bouleversement majeur dans les relations entre la Grande-Bretagne et le Vieux Continent. Car Londres a toujours eu un pied dans l’Union et l’autre dehors. Dès 1979, soit six ans après leur adhésion à la Communauté européenne, les Britanniques ont commencé à exiger des aménagements. Cette année-là, Margaret Thatcher engageait un bras de fer pour obtenir un rabais de la contribution de son pays au budget européen, sur le thème devenu célèbre de :  » I want my money back.  » Le Royaume-Uni a ensuite refusé d’adhérer à l’espace Schengen, un pied de nez à la liberté de circulation des biens et des personnes, principe fondateur de l’Union. Londres a aussi rejeté l’euro, la monnaie commune de 19 pays membres sur 28, mise en circulation en 2002. A chaque traité ou nouvel accord européens, Londres a négocié un opt-out, une clause d’exemption.

l’Europe doit trouver sans tarder un nouvel élan sous peine de se désagréger

Compte tenu de toutes ces dérogations, qui ont permis au Royaume-Uni de se fabriquer une adhésion à la carte, sa rupture avec ses partenaires européens n’aura pas une ampleur cataclysmique. D’autant que de nombreux ponts ne seront pas rompus, notamment en matière d’échanges commerciaux et de coopération dans le domaine de la défense. Néanmoins, le Brexit, lorsqu’il sera devenu effectif, accentuera la réduction du poids relatif de l’Union dans le monde, à la fois sous l’angle démographique, économique et stratégique. La population de l’Union passera de 510 à 443 millions d’habitants, soit 6 % de la population mondiale, au lieu de 7 %. Le Royaume-Uni représente aujourd’hui 14 % du PIB de l’Union. Sans lui, elle ne pèsera plus que 15,2 % du PIB mondial, au lieu de 17,6 %. Le divorce signifie aussi que l’Europe perd 50 % de son droit de vote au Conseil de sécurité de l’ONU, 40 % de sa puissance de feu nucléaire et 15 % de son effort d’aide au développement.

Echec personnel pour David Cameron.
Echec personnel pour David Cameron.© STEFAN WERMUTH/REUTERS

Depuis le verdict des urnes britanniques et la victoire de l’isolationniste Donald Trump à la présidentielle américaine, une relance de l’Europe de la défense est à l’ordre du jour des Vingt-Sept. Le plan discuté envisage des projets de recherche conjoints, des normes communes, l’accélération de programmes déjà lancés (drones, ravitaillement en vol, communications satellitaires, cyberdéfense)… L’Union cherche à renforcer la coopération industrielle, mais est handicapée par la faiblesse des budgets militaires de la majorité de ses Etats membres. La Commission Juncker travaille sur la création d’un  » Fonds de défense européenne  » (FDE) destiné à démultiplier l’investissement militaire.

Renzi désavoué

Alors que l’Europe est au pied du mur et doit trouver sans tarder un nouvel élan sous peine de se désagréger, l’Italie, pays fondateur de l’Union européenne, est dans la tourmente : désavoué par les électeurs lors du référendum constitutionnel du 4 décembre, le Premier ministre Matteo Renzi a démissionné, remplacé par Paolo Gentiloni, ministre sortant des Affaires étrangères. Tous les regards européens sont rivés sur la situation économique et financière italienne, déjà fragile.

Succédant à Cameron, Theresa May n'a toujours pas de stratégie définie.
Succédant à Cameron, Theresa May n’a toujours pas de stratégie définie.© EDUARDO MUNOZ/REUTERS

Dans le même temps, le départ annoncé de Martin Schulz de la présidence du Parlement européen ouvre une période de grande incertitude au sommet de l’Union. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, regrette vivement ce départ, qui fragilise sa position. Très proches, le social-démocrate allemand et le chrétien-social luxembourgeois ont fait cause commune face à la poussée des populistes. Les relations entre le Parlement et la Commission n’ont jamais été aussi harmonieuses que pendant la présidence Schulz. Désormais, Juncker ne sera plus épargné dans l’hémicycle. Reste à voir qui, en janvier 2017, accédera au perchoir européen. Si l’accord passé entre le Parti populaire européen et les sociaux-démocrates est respecté, un conservateur remplacera Schulz. Dès lors, le PPE cumulera les trois postes clés de l’Union, avec Juncker à la Commission et le Polonais Donald Tusk à la tête du Conseil européen. Un monopole jugé  » inacceptable  » par les sociaux-démocrates, rébellion qui fait figure de prélude à l’effondrement de la  » grande coalition  » européenne entre la droite et la gauche socialiste.

Négocier le Brexit

Ces turbulences intra-européennes, auxquelles s’ajouteront bientôt celles de la présidentielle française et des législatives allemandes, compliqueront la gestion du divorce euro-britannique. Pour négocier le retrait, une task force a été constituée du côté européen. Elle est pilotée par l’ancien ministre français et ex- commissaire européen Michel Barnier, qui collabore avec le Gantois Didier Seeuws, représentant le Conseil européen. Un autre Flamand, l’eurodéputé Guy Verhofstadt, est chargé de faire le relais avec le Parlement européen, qui doit approuver d’ici à 2019 les futures relations entre l’Union et le Royaume-Uni. La première tâche de l’équipe sera de préparer les lignes directrices de la négociation, dont le démarrage est prévu dès que Londres aura envoyé sa demande officielle de divorce.

La défiance des Européens

En Italie, Matteo Renzi, désavoué lors du référendum du 4 décembre, a cédé sa place de Premier ministre.
En Italie, Matteo Renzi, désavoué lors du référendum du 4 décembre, a cédé sa place de Premier ministre.© NEIL HALL/REUTERS

Theresa May, qui a succédé à David Cameron à la tête du gouvernement britannique au lendemain de l’échec du remain, l’a promise pour la fin mars. Mais elle n’a plus la maîtrise du calendrier depuis que la justice a décidé que le Parlement britannique devait voter sur le processus de sortie. La nouvelle locataire du 10 Downing Street n’a d’ailleurs toujours pas de stratégie claire sur le Brexit. Son équipe a fait étalage de ses divisions, entre  » Brexiters  » partisans d’une ligne dure – les ministres Boris Johnson, David Davis et Liam Fox, chargés de gérer la sortie de l’UE – et des ministres plus pragmatiques.

En attendant que Londres sorte du bois et fixe sa ligne entre Brexit hardet Brexit soft, la défiance est de mise dans les rangs européens. Et pour cause : le gouvernement May, qui avait déjà agacé en faisant durer le suspense à propos de la date de remise de la demande de sortie, est soupçonné de vouloir obtenir  » le beurre et l’argent du beurre « . En clair, les Britanniques veulent conserver le commerce avec le grand marché communautaire sans garantir la libre circulation des continentaux. Soucieux de l’avenir de la City, Londres tient à disposer d’un accès aux marchés financiers européens, tout en divergeant sur la réglementation des capitaux et la protection des consommateurs. Du coup, les Danois, les Suédois, les Polonais et même les Néerlandais, jusqu’ici favorables à une sortie en douceur du Royaume-Uni, ne prennent plus ce parti, qui aurait laissé Londres avec un pied dans l’Union et un autre dehors. Dans cette  » drôle de guerre « , les Vingt-Sept ont resserré les rangs, et les deux camps se mobilisent. Voilà qui promet une belle empoignade l’an prochain !

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