© Image Globe

Qui sont les néonazis américains?

Wade Michael Page, l’homme qui a ouvert le feu ce dimanche dans un temple sikh du Wisconsin, est un adepte des théories racistes sur la suprématie de la race blanche. Le point sur la mouvance néonazie aux Etats-Unis avec un spécialiste de l’extrême droite.

Wade Michael Page, ex-soldat proche de groupes néonazis, a tué 6 personnes dimanche dans un temple sikh de la banlieue de Milwaukee. LeVif.be a interrogé Stéphane François, chercheur au CNRS, spécialiste de l’extrême droite, sur la mouvance néonazie aux Etats-Unis.

Que sait-on de la mouvance néo-nazie aux Etats-Unis?

On compte une quinzaine de groupes néonazis connus, plus ou moins éphémères. À cela s’ajoutent plusieurs milices ainsi que des « églises aryennes » (des congrégations protestantes qui dissocient ancien et nouveau Testament et font la promotion de l’ « aryanité » sur le modèle du « christianisme positif » des nazis, notamment celui prôné par Alfred Rosenberg).
On peut en gros partager les groupuscules néonazis en trois catégories: les « cinglés », (les « lunatic fringe »). Ceux-là ne sont pas très dangereux, malgré leurs propos virulents. Le plus connu d’entre eux est Gary Lauck, dirigeant du petit parti national-socialiste américain qui porte une mèche et une moustache à la Hitler et se fait prendre en photo vêtu d’un uniforme des SA.
Viennent ensuite les « universitaires ». Il s’agit d’intellectuels, des nationalistes blancs, qui diffusent leur propagande sur la meilleure façon de préserver la race blanche. La Constitution américaine, et notamment le 1er amendement qui garantit la liberté d’expression, permet à ce genre de militants de diffuser sans entrave leur propagande outre-Atlantique, notamment sur Internet. Ils puisent en partie leur inspiration chez les idéologues de la Nouvelle droite française. Enfin il y a une catégorie de groupes plus dangereux. Parmi eux, le Storm Front, fondé par des anciens du Ku Klux Klan, qui prônent activement une « lutte des races » entre les groupes ethniques. Leur emblème est la croix celtique [celle qui est tatouée sur le bras de Wade Michael Page]. L’évolution de ces groupuscules passe dans certains cas par la radicalisation et le passage à l’acte, et dans d’autres cas dans le repli. Ils créent alors des communautés blanches dans des coins reculés, des « zones libérées » où ils mettent en oeuvre un mélange de leur idéologie suprémaciste et de défense de la nature, puisant leur inspiration dans le volkisch allemand (courants de spiritualité païenne du début du XXe), avec Heinrich Himmler et Walther Darré pour modèles.

Certains militants d’extrême droite se sont désolidarisés de l’action du tueur de Oak Creek…

Certes, mais l’acte de Wade Michael Page correspond précisément à la stratégie du « loup solitaire » (lone wolfs), théorisée par un militant d’extrême droite américain, Joseph Tommasi, lui-même influencé par William Luther Pierce. Ce dernier est l’auteur d’un roman d’anticipation, Turner diaries dont l’intrigue, raconte le destin d’Earl Turner, un « héros » devenu martyr après avoir éliminé, avec un groupuscule devenu de plus en plus important, les populations noires et juives du pays, et rétabli la suprématie blanche. Les Turner Diaries sont considérés par le FBI comme une sorte de bible de la droite raciste, en particulier depuis l’attentat d’Oklahoma City, commis par Timothy McVeigh en 1995.
On peut surveiller les groupuscules néonazis, on peut les infiltrer, mais on ne peut pas grand-chose contre les « loups solitaires », ces individus qui agissent isolément.

Les groupuscules néonazis sont-ils plus surveillés depuis les attentats d’Oklahoma City (1995) et d’Atlanta (1996)?

Oui. Le FBI les traque beaucoup plus depuis cette période. Mais tant qu’ils ne passent pas à l’acte, les forces de police les laissent relativement libres d’agir.

Wade Michael Page est un ancien vétéran. Les militants d’extrême droite sont-ils nombreux dans l’armée?

Pas particulièrement. Notamment parce que l’armée américaine, une armée de métier, voit de nombreux membres des minorités ethniques de milieu modeste s’engager, souvent pour payer leurs études. Il y a toutefois un précédent, celui de l’ancien Lieutenant colonel Michael Aquino qui a fondé un groupe sataniste proclamant la suprématie de la race blanche, le Temple de Seth.
Wade Michael Page était membre d’un groupe de rock, End Apathy.

Les groupes de musique sont-ils souvent utilisés par les mouvements d’extrême droite?

Les chansons sont un moyen de diffuser leurs slogans, plus faciles à faire passer que de longs discours
Oui, en Europe occidentale comme aux Etats-Unis, les mouvements skinheads fonctionnent beaucoup en s’adossant à des groupes de rock. C’est à la fois un moyen de rassembler les sympathisants. Et les chansons sont aussi un moyen de diffuser leurs slogans, plus faciles à faire passer que de longs discours parmi un public souvent peu lettré. Les premiers de ces groupes étaient britanniques, notamment dans la mouvance Blood and Honour, apparue à la fin des années 70. Le groupe le plus connus était les Skrewdriver. Alors qu’en France, où ils sont traqués, les concerts de ces groupes se produisent en catimini et donnent lieu à de véritables jeux de piste avec notamment des salles réservées sous d’autres prétextes, aux Etats-Unis, ils sont beaucoup moins surveillés.

Propos recueillis par Catherine Gouëset, L’Express

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire