Aicha Bacha

Pourquoi le monde a échoué à contrer l’extrémisme violent ?

Aicha Bacha Doctorante en Sciences Sociales et Politiques à l'ULB

Copenhague, New York, Paris, Londres, Bruxelles, Madrid, Istanbul, Casablanca, Hambourg… sont différentes villes du monde qui ont un point commun : elles ont subi les atrocités de l’extrémisme violent.

Approche américaine

Elle conçoit la radicalisation comme violente que lorsqu’il y a un passage à l’acte. On intervient lorsque des actes sont commis à cause des idées ou des motivations extrémistes.

Dans cette perspective, les Américains veulent séparer la radicalisation cognitive qu’ils considèrent comme légitime (les extrémistes non-violents ne sont pas considérés comme une menace dont les activités devront être réduites ou contrées par le gouvernement). Ils sont convaincus que toute société libre peut et doit tolérer un degré d’extrémisme.

Pour eux, la bonne approche de la lutte contre la radicalisation commence par des partenariats stratégiques avec de jeunes extrémistes, mais qui n’ont pas provoqué d’acte radical. Ils s’adressent à ces interlocuteurs crédibles, les forment pour sensibiliser les jeunes susceptibles de suivre le même chemin[1]. Comme ils investissent beaucoup dans le sécuritaire, c’est entre le département de la sécurité nationale américaine {Department for Homeland Security) et le département de Justice (Justice departement) que se joue la lutte contre la radicalisation violente.

L’approche arabe

Les niveaux de lutte des pays arabes touchés par la radicalisation violente sont différents.

Le Maroc, l’Algérie, la Tunisie agissent en mettant en oeuvre des lois antiterroristes strictes et en établissant un solide partenariat antiterroriste entre leurs différents services d’Etat : service de renseignements, police nationale, sécurité des frontières surtout le cas de l’Algérie, la Tunisie et la Libye.

Les pays du Golf se sont engagés militairement contre le terrorisme. C’est à travers la Ligue arabe et le Conseil de Coopération du Golfe qu’ils se mobilisent militairement contre ce qu’ils appellent terrorisme des Thoutmosis. Le gouvernement des Émirats crée le centre Sawab qui signifie en français le correct qui vise à dé-radicaliser théologiquement les jeunes.

Dans le même sens, l’Arabie-Saoudite a ouvert un centre qui propose à d’anciens terroristes, un programme de « réhabilitation », basé sur le sport, la peinture, mais aussi la religion et la famille.

La radicalisation religieuse n’est pas interdite parce que ces pays dénombrent un nombre important de salafistes voire d’organisations salafistes et aussi des organisations terroristes telle que Ami, Al Mourabiti, Mujao en Algérie, Ansar Acharia en Tunisie, Al -sheebbab en Somalie et Kenya, Boko haram au mali, Nigeria, Tchad, Niger et Cameroun, front Annusrah au Levant et d’autres groupuscules terroristes qui ont prêté allégeance à Daech[2]. Et même le départ en Syrie n’est pas pénalisé sauf si la personne en question retourne au pays. C’est à ce moment que la personne devient dangereuse.

Le Koweït a pris plusieurs mesures pour améliorer la surveillance et la réglementation des collectes de fonds caritatives, notamment en surveillant les transferts aux bénéficiaires internationaux et en réglementant les dons en ligne.

Le Maroc dispose d’une stratégie de lutte contre le terrorisme global qui comprend des mesures de vigilance en matière de sécurité, la coopération régionale et internationale, et des politiques contre la radicalisation.

Approche européenne

Les pays européens ont continué d’affiner les stratégies de lutte contre la radicalisation violente. Les politiques danoises, suédoises et norvégiennes contre la radicalisation mettent l’accent sur des interventions préventives telles que des entrevues avec des jeunes identifiés comme étant à risque.

Elles lancent des campagnes d’information mettant l’accent sur les valeurs démocratiques et la « citoyenneté active » visant par exemple à empêcher la croissance de « sociétés parallèles » dans des « zones de ghetto ».

Les gouvernements de ces pays ont signé des accords de coopération formels avec les écoles, les services sociaux et la police. Les trois pays ont également créé des instituts de recherche axés sur la radicalisation et le terrorisme comme le Centre danois pour les études de l’islamisme et la radicalisation (CIR), ou le Groupe de recherche sur le terrorisme en Norvège (TERRA).

La Suède a, à son tour, élaboré un plan détaillé intitulé « Prévenir, prévenir et protéger. L’Allemagne a créé en juin 2010 le programme Natif – « téléphone » en arabe et Heraus Aus Terrorismus und Islamistischem Fanatismus en allemand qui vise à faire sortir les jeunes du fanatisme islamiste.

La Grande-Bretagne, après les événements du 11 septembre, a créé le programme 4P «  Prepare, Pursuit, Protect, Prevent« . C’est le seul pays qui fait recours à des organisations créées par des anciens islamistes (Active Change Foundation et The Unity Initiative) pour gérer ce problème de radicalisation violente[3]. La France, la Belgique, les Pays-Bas ont changé de paradigme. Avant, ils se focalisaient sur la « dé-radicalisation ou la contre-radicalisation violente », qui n’a pas abouti à des résultats palpables. Ils se dirigent de plus en plus vers des politiques de prévention à la danoise.

Les pays européens ont multiplié des efforts de résolution contre l’extrémisme violent, dans des événements internationaux comme le forum mondial contre le terrorisme (coprésidé par les Pays-Bas et la Turquie), l’Organisation des Nations Unies, le Conseil de l’Europe et l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe.

Ils ont créé aussi le centre européen antiterroriste Europol pour un meilleur partage d’informations sur les déplacements des terroristes étrangers. La Commission européenne a proposé la création d’une Garde côtière et frontalière de l’UE (Frontex, avec un mandat élargi) comme elle a promis de fournir des aides financières pour les pays africains qui ont signé des conventions pour combattre Boko Haram. Militairement, 39 pays européens ont coopéré multi-latéralement en faisant des raids aériens avec la coalition mondiale contre Daech[4].

Comparaison entre les deux approches

Les pays arabes ont une approche américanisée. La radicalisation religieuse n’est pas interdite parce que ces pays dénombrent un nombre important de salafistes comme nous l’avons précédemment mentionné, voire des organisations terroristes. Leur approche est globale. Elle manque de précision, vu qu’elle se base sur une communauté et qu’elle n’aborde pas le cas par cas. Elle manque également de leadership qui centralise l’information.

L’approche européenne vise à confronter la radicalisation idéologique avec la radicalisation comportementale, mais elle met l’accent sur le premier type. Pour les Européens, la menace de l’extrémisme va bien au-delà des individus qui enfreignent la loi et se livrant à la violence. Elle est politique. Ils contrôlent des libertés même idéologiques des mouvements extrémistes (appartenir à certains courants extrémistes : vlaams belang, sharia4belgium…etc.), en croyant que cela peut éviter des menaces du désordre et de l’insécurité publique. Ce qui crée un climat d’intimidation et de peur permanente[5].

Pour combattre ce fléau, l’Union européenne s’est dirigée vers une approche plus holistique avec ses États membres. Elle a créé une stratégie plus large. Par exemple, l’initiative « workstreams », qui est gérée en collaboration avec des pays tels que l’Espagne. Cette initiative permet d’intégrer et de travailler plus étroitement avec les imams musulmans à travers les programmes de formation qui améliorent leurs compétences linguistiques et ils leur fournissent une formation adéquate pour repérer les signes de l’extrémisme[6].

Outre les autres voies d’endoctrinement utilisées par les extrémistes, l’internet reste l’outil le plus intéressant d’embrigadement et de recrutement. Nous nous interrogeons sur la raison pour laquelle l’Occident ou la Syrie n’ont pas exploité cette piste dans la lutte contre l’extrémisme violent, en privant les recruteurs de ce moyen de résistance et d’existence. S’agit-il d’une erreur dans la politique de lutte ou plutôt d’une volonté implicite ? Au moins la privation d’internet ne fera pas les mêmes dégâts humains et matériels que les F16.

Nous pensons que l’une des raisons les plus probantes est le fait que la lutte contre l’extrémisme violent s’est transformée en un business et aussi en un jeu politique. Chaque parti politique propose une stratégie de lutte et chaque chercheur prétend que ses résultats sont les meilleurs. On constate un sévère manque d’harmonisation entre les terrains religieux, social, politique, économique et scientifique.

[1] Maher S., Frampton, M. (2009) Choosing our friends wisely: criteria for engagement with Muslim groups, London: Policy Exchange.

[2] Selon le rapport annuel 2015 du département d’État américain sur la lutte anti-terroriste dans le monde. Disponible au http://www.state.gov/j/ct/rls/crt/2015/257516.htm , dernière consultation le 05/11/2016

[3] El Difraoui Asiem, Uhlmann Milena, « Prévention de la radicalisation et déradicalisation : les modèles allemand, britannique et danois », Politique étrangère 4/2015 (Hiver) , p. 171-182

[4] Selon le rapport annuel 2015 du département d’État américain sur la lutte anti-terroriste dans le monde. Disponible au http://www.state.gov/j/ct/rls/crt/2015/257516.htm , dernière consultation le 05/11/2016

[5] Selon l’agence de renseignement intérieur hollandaise, la menace de l’extrémisme inclut la création de structures communautaires parallèles avec les formes (formulaires) de justice auto-définie et la propagation de comportement antidémocratique qui pourrait aboutir à la polarisation, des rapports tendus inter-ethniques et inter-religieux et des troubles sociaux sérieux ‘, dawa radical dans la transition : la hausse(l’ascension) de neoradicalism Islamique dans les Pays-Bas (la Haye, 2007), p. 10

[6] Maher S., Frampton M. (2009) Choosing our friends wisely: criteria for engagement with Muslim groups, London: Policy Exchange,

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