Milorad Dodik
L’ancien président de la République serbe de Bosnie, Milorad Dodik, restera-t-il le maître de l’entité? © GETTY

Pourquoi la République serbe de Bosnie restera sous la coupe de Milorad Dodik

La République serbe de Bosnie-Herzégovine élit un nouveau président à la suite de la destitution de l’immuable Milorad Dodik. Or, son emprise sur les organes de l’Etat n’est pas près de disparaître.

Cela ressemble à une blague, mais c’est très sérieux. Dans les rues de Banja Luka, les affiches de campagne du parti SNSD (Alliance des sociaux-démocrates indépendants) pour l’élection présidentielle de la République serbe de Bosnie (Republika Srpska) portraiturent le candidat officiel, Siniša Karan, aux côtés de… Milorad Dodik, président déchu et, surtout, frappé d’inéligibilité pour les six prochaines années. Les slogans sont tout aussi clairs: «Pour Karan –la Srpska vaincra, pour Dodik.» Autant de preuves tangibles qui démontrent que l’ancien homme fort des Serbes de Bosnie reste incontournable alors qu’approche le scrutin du 23 novembre… provoqué par sa destitution de la présidence.

Depuis que les accords de Dayton ont mis fin à la guerre en Bosnie-Herzégovine en 1995, le pays est constitué de deux entités autonomes qui occupent chacune à peu près la moitié du territoire. La République serbe est majoritairement constituée de Serbes orthodoxes, tandis que la Fédération de Bosnie regroupe Bosniaques musulmans et Croates catholiques. Toutes deux sont réunies au sein d’un gouvernement central au pouvoir plutôt limité, et placées sous la supervision d’un haut-représentant de la communauté internationale, actuellement l’Allemand Christian Schmidt. Or, Milorad Dodik l’a dans le viseur depuis 2021 et sa nomination, qu’il juge illégitime vu le veto opposé par la Russie au Conseil de sécurité des Nations unies. Pour marquer le coup, il a d’ailleurs promulgué, en 2023, deux lois visant à ne plus reconnaître et, donc, à ne plus appliquer les décisions du haut-représentant.

Le recul imposé à Dodik le place dans une position intéressante pour diffuser ses messages de haine ethnique.

Six ans d’inéligibilité

Une position séparatiste renforcée depuis près de 20 ans par des annonces à tout-va concernant l’organisation de référendums d’autodétermination, la reprise des pouvoirs dans les domaines de la défense, des impôts et de la justice ou encore, selon le Trésor américain, la création d’un groupe de travail mandaté pour rédiger un plan de «sécession pacifique». Sauf que cette fois, ces deux lois ont valu à Dodik une inculpation qui a elle-même mené à une destitution de son mandat de président et une condamnation à six ans d’inéligibilité ainsi qu’à un an de prison, que ce proche de Vladimir Poutine s’est empressé de racheter –la démarche est légale en Bosnie-Herzégovine– contre 18.000 euros.

Entre la décision en première instance et la confirmation en appel, Dodik a toutefois eu le temps de faire adopter une législation anticonstitutionnelle interdisant à la justice et à la police centrales du pays d’exercer dans l’entité serbe, puis un texte prévoyant le droit à l’autodétermination ou la création d’une armée, ce qui va totalement à l’encontre de l’esprit de Dayton. Ensuite, en dépit de sa condamnation courant août et l’annonce par la Commission électorale centrale de la tenue d’une élection présidentielle anticipée le 23 novembre, Dodik a continué de se comporter comme un chef d’Etat pendant plusieurs semaines. Sans aucune légitimité, il a signé des documents officiels et a même nommé un Premier ministre. Ce n’est qu’au début de l’automne qu’il a accepté de reconnaître qu’il n’était plus président de la République, tandis que le Parlement de l’entité serbe a annulé toutes les lois votées ces deux dernières années. «Il s’agit probablement d’une manœuvre visant à faciliter les négociations de Milorad Dodik avec Donald Trump et, finalement, s’assurer la levée des sanctions que les Etats-Unis lui imposaient ainsi qu’à son entourage depuis 2017, estime Jean-Arnault Dérens, historien et corédacteur en chef du Courrier des Balkans. En cherchant à s’assurer le soutien des Américains, Dodik tient moins à défendre ses prétendues ambitions nationalistes que son patrimoine personnel.»

L’ex-dirigeant est en effet soupçonné de s’être bâti une fortune grâce à la corruption d’Etat et à la mainmise qu’il assure à un petit cercle d’entreprises gérées par ses proches sur la République. «Reste désormais à savoir si Dodik continuera à tirer toutes les ficelles en se contentant de ne plus être au premier plan», interroge Jean-Arnault Dérens.

Quelles conséquences?

Selon la politologue Neira Sabanovic (ULB), le recul imposé à Milorad Dodik le place dans une position intéressante pour continuer à diriger dans l’ombre et à diffuser, sans être inquiété, ses messages prônant la haine ethnique. «Son discours axé sur la peur permet ainsi de détourner l’attention des gens des vrais problèmes, à savoir la situation économique catastrophique, les perspectives d’avenir quasi nulles pour la jeunesse, le taux de chômage élevé, etc.» Dodik a bien menacé un temps de recourir à la police pour empêcher l’organisation de l’élection, mais elle aura finalement bien lieu. «Face à cette série de crises cycliques auxquelles les précédentes élections n’ont pas changé grand-chose, il serait bienvenu que les quasi-pleins pouvoirs du SNSD soient ne fût-ce qu’un peu ébranlés», poursuit Neira Sabanovic.

Officiellement, cinq candidats se présentent à l’élection en Republika Srpska, mais l’experte souligne que le manque de diversité dans l’idéologie des partis, toujours fort attachés aux narratifs nationalistes, cadenasse une population qui n’est pourtant pas majoritairement obnubilée par les questions de séparatisme. Les observateurs pointent le Parti démocratique serbe (SDS) comme le seul véritablement armé pour pouvoir bousculer l’ordre établi, grâce à son candidat Branko Blanusa, mais surtout à son visage principal, Drasko Stanivuković, 32 ans, maire de Banja Luka et principal opposant à Milorad Dodik. «Il faut toutefois prendre en compte que le SNSD n’a pas besoin de « tenir » la Republika Srpska, nuance Neira Sabanovic. Le parti est assuré de conserver une certaine hégémonie en Bosnie-Herzégovine grâce à la présence de Zeljka Cvijanović au sein du triumvirat de chefs d’Etat (NDLR: aux côtés d’un Bosniaque et d’un Croate, tous deux élus par la Fédération de Bosnie), mais également à son réseau de corruption et de clientélisme.»

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