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Pourquoi des dizaines de Tibétains s’immolent-ils par le feu ?

Tout comme le jeune homme décédé ce mercredi à New Delhi, une trentaine de Tibétains ont choisi de se suicider en se transformant en torche humaine. Un acte de protestation radical pour dénoncer la politique chinoise au Tibet. Explications.

Malgré les efforts des médecins, Jampa Yeshi, 27 ans, est décédé ce mercredi, des suites de ses brûlures. Le jeune Tibétain en exil s’était immolé lundi, dans le centre de New Delhi, lors d’une manifestation contre la venue en Inde du président chinois Hu Jintao prévue ce jeudi.

Des Tibétains ayant pris part à la manifestation ont décrit Jampa Yeshi, qui a fui son pays en 2005, comme un homme sans emploi. Il avait déjà participé à des manifestations contre la domination chinoise au Tibet, selon un autre participant au rassemblement. Cette fois, il avait préparé avec soin son action. Il avait dissimulé une bouteille d’essence avec laquelle il s’est ensuite arrosé, avant de se transformer en torche humaine.

Il s’agit du deuxième cas d’immolation à New Delhi, où vivent des milliers de Tibétains en exil. En novembre 2011, un homme avait déjà tenté de s’immoler devant l’ambassade de Chine. Dans les zones tibétaines chinoises même, près de 30 Tibétains, en grande majorité des hommes, souvent des moines bouddhistes, se sont immolés ou ont tenté de le faire depuis début le 16 mars 2011 dans les zones tibétaines chinoises.

L’ONG International Campaign for Tibet tient le compte de ces tentatives, se soldant la plupart du temps par un décès. Il recense aussi un premier cas, qui a précédé cette triste vague, en février 2009: un moine d’une vingtaine d’années s’était alors immolé par le feu, dans la province du Sichuan, après l’annulation d’une séance de prière au monastère de Kirti. Il aurait crié des slogans avant que la police ne lui tire dessus, selon cette organisation mobilisée pour les droits des Tibétains. La situation est restée tendue pendant des mois dans ce monastère: c’est dans cette zone qu’ont eu lieu dix des trente immolations.

Pourquoi ces Tibétains se sacrifient-ils?

« Si la protestation par le feu ne touche physiquement que sa propre victime, elle symbolise l’échec de la politique menée par Pékin, qui offre routes et infrastructures, mais musèle toute velléité politique, place le bouddhisme tibétain sous strict contrôle et interdit de vénérer sa plus haute autorité, le dalaï-lama, présenté comme un ‘loup en habits de moine' », détaille notre correspondant.
Cette vague de suicides a lieu quatre ans après le soulèvement de la région sous administration chinoise. De nombreux Tibétains se plaignaient déjà de la répression de leur religion et de leur culture et de ce qu’ils considèrent comme une domination grandissante des Han, ethnie fortement majoritaire en Chine. Fin 2008, se posait la question de la radicalisation des défenseurs de la cause tibétaine, après le constat de l’échec des discussions avec Pékin…

Que leur répondent les autorités chinoises?

Aux revendications tibétains, la Chine répond qu’elle a « libéré pacifiquement » le Tibet en 1951 et, depuis, amélioré le sort des Tibétains en fournissant des fonds pour le développement économique de cette région pauvre et isolée. Et depuis mars dernier Pékin accuse des « organisations étrangères » prônant l’indépendance du Tibet de déformer les faits, et a accusé le dalaï-lama, chef spirituel en exil des Tibétains, de fomenter les troubles. « C’est au Sichuan que les autorités répondent le plus agressivement », souligne le tibétologue Robert Barnett, de l’université de Columbia, interrogé par notre correspondant. La Chine a prévenu qu’elle « réprimerait résolument » toute tentative de propager des troubles dans ses régions à population tibétaine. Il arrive d’ailleurs que la police tire sur les manifestations, à balles réelles.

Marie Simon, L’Express

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