Ivanka Trump © REUTERS

Portrait d’Ivanka Trump: « Elle est belle, elle est puissante, elle est complice »

Rudi Rotthier
Rudi Rotthier Journaliste Knack.be

Femme d’affaire à la voix douce et monocorde, auteure de guides pratiques descendus en flèches, féministe autoproclamée à l’influence modératrice sur son père, Ivanka Trump est officiellement l’une des conseillères principales du président. Mais jusqu’où va son influence?

Avant les élections présidentielles américaines de 2016, on a demandé à Donald Trump quelle femme il mettrait sur les billets de 10 dollars. « Ivanka », a été sa première suggestion, avant de proposer une proposition plus conventionnelle : l’activiste des droits civiques Rosa Parks.

Dans le monde du président américain, sa famille est essentielle, et au sein de cette famille, Ivanka Trump, née en 1981, est clairement l’enfant chérie. Le chouchou. Plus encore : « Si Ivanka n’était pas ma fille », a-t-il dit un jour, « j’aurais peut-être un rendez-vous galant avec elle. »

Pourtant, elle est, et ce que révèlent ses rares interviews, encore plus focalisée sur lui que lui sur elle. Elle ne le déifie peut-être pas, mais il est son héros. Depuis toute petite, elle s’intéresse au secteur de l’immobilier, où il a fait fortune. « Quand j’avais six ans », raconte-t-elle au présentateur de talk-show Conan O’Brien, « j’étais extrêmement déçue en recevant une poupée Barbie pour Noël. J’ai pris les lego de mon frère Eric, et j’ai fait une copie de la Trump Tower à New York. » Elle cherchait systématiquement son approbation et son attention. Pour dépasser ses attentes, elle se tuera au travail.

Féminisme cosmétique

Après des études dans des écoles chères et une carrière de mannequin, elle est entrée dans les affaires. En partie au service de son père, en partie à son propre compte. En tant que femme d’affaires, elle suit la ligne de Donald : on donne son nom à un produit, on s’occupe du marketing, et voilà.

Cela explique son féminisme, qui a été une vocation tardive. Au début, Ivanka a eu l’image de glamourgirl privilégiée. Dès qu’elle a constaté qu’il n’y avait pas de marché pour ça, elle s’est tournée vers les femmes fortes au travail qui « veulent améliorer leur apparence ». Elle souhaitait fournir ce qu’elle qualifie de « féminisme chic » – un féminisme cosmétique qui convenait aussi à des hommes comme son père. Pour soutenir cette stratégie, elle a cherché de plus en plus les feux des projecteurs et a de plus en plus utilisé les termes d’empowerment.

Elle l’a fait aussi en juin 2015, quand il a lancé sa campagne présidentielle. Elle l’assisterait souvent dans la campagne, y compris pendant sa grossesse et après la naissance de son troisième enfant, en mars 2016. Alors que son mari Jared Kushner est devenu un des hauts conseillers de son père, son rôle est resté informel – mais pas moins important pour autant. « Je souhaite exercer une influence modératrice sur le politique de Donald Trump », a-t-elle dit. Par exemple, elle a adouci les angles de ses attaques contre les Mexicains, qui atteignaient également son propre business. Et sa présence rassure les électrices. Si une femme aussi douée qu’Ivanka Trump supporte le langage trivial de son père à l’égard des femmes (« Il traite les hommes de la même façon ») ; si elle le qualifie de féministe et a même réussi à le convaincre à s’exprimer positivement sur le Planned Parenthood, une ONG américaine qui a pour but d’étendre la loi sur l’avortement, s’il écoute ses opinions qui sont relativement de gauche, alors Donald Trump n’est peut-être pas si terrible que ça ?

Lors de la Convention républicaine à Cleveland, en juillet 2016, où son père a été nommé candidat présidentiel pour le parti, elle a tenu un discours qui aurait été bien accueilli chez les démocrates. Son attention ne s’est pas focalisée sur l’écart de revenus entre les femmes et les hommes, mais sur celui entre les mères et d’autres employés. « Les États-Unis sont le dernier pays développé sans congé de maternité payé », a-t-elle dit. « Mais mon père finira par dégager les finances nécessaires. »

Les risques entraînés par cette tactique se sont révélés au grand jour en octobre 2016, un mois avant les élections. Quand The Washington Post sort l’enregistrement où Donald Trump s’exprime en termes non équivoques sur les femmes (‘Grab them by the pussy’), Ivanka est dans tous ses états. Elle a demandé à son père de s’excuser, mais ce dernier n’était guère enthousiaste à cette idée. D’après The New York Times, Ivanka a quitté la réunion en larmes.

Bien qu’après les élections elle ait dit qu’elle souhaitait surtout être une fille pour son père, Ivanka est immédiatement devenue beaucoup plus que ça. Elle participait aux rencontres officielles avec les chefs d’État et les dirigeants de gouvernement. Elle a invité Al Gore, l’ancien vice-président démocrate, pour venir parler de l’environnement dans la Trump Tower, et lui a permis de passer une heure avec le président élu. Elle avait déjà contacté l’acteur Leonardo DiCaprio au sujet du même thème. Et depuis mars, elle est officiellement « assistante du président ». Non payée, afin qu’elle ne se heurte pas à la législation contre le népotisme. Elle a placé ses entreprises dans un fonds fiduciaire. Aprésent ce sont son beau-frère et sa belle-soeur qui s’occupent de ses affaires.

Déesse en Chine

Alors que Jared Kushner est chargé entre autres de la paix au Moyen-Orient et qu’il doit revoir les grands accords de commerce des États-Unis, Ivanka Trump ne dispose pas de compétences bien précises. Son père lui pose des questions, et elle part à la recherche des réponses.

Elle est considérée comme la personne qui maîtrise le mieux Donald Trump, comme celle qui ose dire non. « Je suis sa fille », a-t-elle déclaré récemment au The New York Times. « Il me fait confiance. Je n’ai pas d’agenda caché. Je ne veux pas lui donner des coups pour avancer à ses dépens. »

Ivanka réussit là où d’autres échouent. Elle est la seule capable de convaincre le président accro aux nouvelles de quitter sa télévision et de brider son comportement sur Twitter. Les observateurs de Trump ont constaté que le président s’éclate sur Twitter la nuit du vendredi au samedi (l’accusation envers son prédécesseur Barack Obama de l’avoir mis sur l’écoute a été proférée un samedi matin tôt). Ce n’est pas un hasard si c’est le moment où sa fille et son gendre observent le sabbat et ne sont pas à la Maison-Blanche – juste avant son mariage en 2009, Ivanka s’est convertie au judaïsme orthodoxe de son mari.

Elle est appréciée parce qu’elle brise la glace auprès des invités. Lors de la visite du président chinois Xi Jinping, elle a fait chanter une chanson en mandarin à Arabella, sa fille de cinq ans. La vidéo du spectacle, publiée en ligne par les Trump, a été partagée des dizaines de millions de fois. D’après The New York Times, la prestation a valu le statut de déesse à Ivanka en Chine qui semblait avoir oublié les insultes proférées par Trump envers la Chine.

Personne n’a de doutes sur le fait que le président écoute sa fille. Cela lui donne une position exceptionnelle. Mais qu’est-ce qu’elle lui murmure à l’oreille ? Et plus important encore : quelle influence peut-elle finalement exercer sur la politique ? Sur ce plan-là, elle ne révèle pas le fond de sa pensée. D’après la rumeur, Ivanka est pour le maintien de l’accord climatique de Paris, elle ne partage pas l’avis de Donald sur l’avortement, et elle a réussi à préserver une grande partie du budget pour la « santé féminine ». Lors d’une rencontre récente avec Angela Merkel, elle s’est exprimée plus positivement sur les réfugiés que son père.

Lors d’un entretien accordé au Daily Telegraph, son frère Eric a confié qu’il avait vu la main de sa soeur dans le bombardement contre une base aérienne en Syrie, le mois dernier. « Je suis sûr qu’elle a dit à notre père : ‘Regarde comme c’est horrible’ et qu’elle lui a montré des photos d’enfants qui souffrent.’ Ensuite, Donald aurait revu ses positions sur le président Bachar el-Assad et la Syrie.

Un millimètre de profondeur

La position d’Ivanka est néanmoins pénible: les adeptes de la droite nationaliste du président exècrent son « internationalisme », alors que ses partisans « démocrates » estiment qu’elle obtient trop peu de résultats, qu’elle ne fait pas suffisamment barrage. Par exemple, il n’y a aucune trace dans les propositions budgétaires du congé de maternité payé qu’elle a proposé à la Convention républicaine. Et pourquoi a-t-elle soulevé ce sujet, alors que dans ses propres entreprises elle a fait preuve de peu de compréhension à l’égard des femmes désireuses de rester chez elles après leur accouchement ? Et à quel point une femme qui loue le travail le dimanche est-elle favorable à la famille ?

Et Ivanka Trump n’est pas uniquement coincée entre la droite et la gauche. Conor Friedersdorf souligne un autre point de dissension : le népotisme versus le nationalisme. L’approche de Steve Bannon, qui souhaitait assécher le marais des lobbyistes à Washington est contraire aux intérêts d’affaires d’Ivanka et Jared. Le spectacle d’Arabella Kushner pour le président chinois était non seulement un coup de génie pour créer la bonne volonté, sur le plan des affaires, c’était également intéressant : le même jour, l’entreprise de sa mère a reçu un monopole via trois licences provisoires pour mettre les bijoux Ivanka, les sacs Ivanka, et les produits welness Ivanka sur le marché chinois. « Ils ne se font pas payer pour leur rôle à la Maison-Blanche », écrit Friedersdorf », mais ils sont assez jeunes pour passer plus tard devant la caisse. Ils mettent la base maintenant. » D’après le site d’informations Politico, Bannon s’est plaint que l’agenda populiste du président est miné par Ivanka, Jared et les « démocrates » à la Maison-Blanche.

Après avoir été représentée positivement dans la presse, Ivanka récolte plus de critiques. Son livre Women Who Work a été unanimement descendu en flammes. Le site Buzzfeed, qui qualifie Ivanka de « la femme la plus puissante du pays », affirmait que son nouveau livre paraissait écrit par un francophone qui a passé son texte dans Google Translate ». Cosmopolitan s’est tenu à « 217 pages et 1 millimètre de profondeur ».

Aux États-Unis, vous avez réussi si vous êtes parodié par le show télévisé satirique Saturday Night Live. C’est arrivé à Ivanka en mars. Mais la parodie a souligné ce point sensible : n’est-elle pas surtout la femme qui dore la pilule, qui aide à vendre l’agenda d’un gouvernement de droite composé presque exclusivement d’hommes d’un certain âge ? L’actrice Scarlett Johansson s’est moquée d’Ivanka Trump en présentant un nouveau parfum : Complicit (complice). Avec le slogan : « Elle est belle, elle est puissante, elle est complice ! » Réaction de la véritable Ivanka : « Je ne sais pas ce que cela signifie : ‘complice’. »

En apparence, Ivanka ne s’en fait pas. Elle demeure modeste, et demande de la patience. « J’essaie vraiment, vraiment d’apprendre. À long terme, j’espère que les gens respecteront ça. » On spécule déjà qu’elle tentera sa chance dans huit ans. Sur Google, le terme de recherche « Ivanka 2024 » rapporte déjà des milliers de résultats, mais elle le dément fermement à CBS : « La politique, c’est une entreprise dure. Je ne me présenterai pas. »

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