Gérald Papy

‘On ne demande pas aux chiens de garde d’être sympathiques…’

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Dominique Strauss-Kahn relaxé dans l’affaire du Carlton de Lille et voilà les juges d’instruction et les journalistes cloués au pilori. La critique est recevable. Est-elle fondée ?

L’issue des deux procès dont est sorti judiciairement blanchi l’ancien directeur du Fonds monétaire international démontre combien la justice est une aventure humaine et non une science exacte. A New York en 2011, DSK échappe à la justice pénale dans l’affaire du Sofitel. Le procureur Cyrus Vance s’est résolu à réclamer l’abandon des poursuites parce qu’il sait que le témoignage de Nafissatou Diallo, fragilisée non sur ses accusations contre DSK mais par la révélation d’un mensonge lors de sa demande d’asile aux Etats-Unis, va être taillé en pièce par les avocats chevronnés de la défense. On ne saura jamais si la femme de chambre a été victime ou non d’une agression sexuelle. A Lille en 2015, les juges d’instruction en charge de l’affaire du Carlton sont accusés par le président du tribunal, entre les lignes du jugement, d’avoir accordé un trop grand crédit aux accusations « fragiles » ou « mensongères » de prostituées contre DSK. L’ancien ministre socialiste n’aurait pas dû être renvoyé en correctionnelle. On a confondu jugement moral et infraction pénale. Une confiance ébranlée à New York, une confiance aveugle à Lille ont décidé de la rupture ou de la poursuite du chemin de croix de DSK. Rien de comparable pourtant avec l’image emblématique de la souffrance humaine à la suite d’un fiasco judiciaire, le visage du notaire d’Outreau, Alain Marécaux, dont la vie professionnelle, familiale et conjugale fut brisée à jamais par des accusations de pédophilie…

La nature humaine est telle qu’il ne faut pas exclure que tel ou tel juge d’instruction, plus en France où la politique est un spectacle qu’en Belgique, ait nourri l’ambition personnelle de « se payer » le scalp ici d’un ex-directeur général du FMI, là d’une personnalité politique en vue. Dérives rares en regard de la masse des dossiers traités chaque année. C’est le mérite du procès de Lille d’avoir rendu un jugement clinique et rétabli la sérénité des débats. Il rappelle aux magistrats instructeurs l’importance de leur mission et le professionnalisme sans faille qu’elle requiert. Pour autant, il n’en remet pas en cause la fonction même. Le projet, nourri en son temps par Nicolas Sarkozy, de supprimer le juge d’instruction, indépendant, au profit du parquet nommé par le pouvoir politique, est une réponse qui ne garantit pas plus la probité des décisions judiciaires, au contraire.

Aux u0022chiens de garde de la démocratieu0022, on ne demande pas d’être sympathiques mais d’être intègres

De New York à Lille, la machine médiatique lancée sur les traces de Dominique Strauss-Kahn au fil des accusations révélées par l’appareil judiciaire n’a pas résisté dans certains cas à une forme de lynchage avant procès. Le jugement lillois sonne comme une piqûre de rappel à la responsabilité d’une profession soumise aux vents tourbillonnants de l’immédiateté, de la gratuité, des réseaux sociaux et de la précarité industrielle. L’hypersophistication de la communication politique et l’accroissement du fossé entre le politique et le citoyen confortent pourtant l’importance du rôle du journaliste. Le Premier ministre français Manuel Valls n’aurait pas été contraint à reconnaître une erreur dans son déplacement à Berlin pour la finale de la Ligue des Champions si des journalistes n’avaient pas révélé qu’il y était accompagné de ses fils aux frais de l’Etat. Aux « chiens de garde de la démocratie », on ne demande pas d’être sympathiques mais d’être intègres dans leur recherche de la vérité. C’est ce qui nous guide dans l’enquête que Le Vif/L’Express consacre cette semaine à l’héritage et aux méthodes de Joëlle Milquet.

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