L’exil climatique organisé est une réalité. A Tuvalu, la population entière est concernée, à cause de la montée des eaux. Quels sont les autres pays les plus menacés? En Bretagne, on exproprie déjà…
Si vous voulez passer vos vacances à Tuvalu, la saison qui va d’août à mi-octobre est la plus appréciable. Les températures se maintiennent autour de 26°. Le lagon permet de faire d’insolites excursions en kayak. Les hôtels, qui n’offrent certes pas le plus luxueux des conforts, sont très abordables. Comptez environ 35 euros la nuit. Les accrocs du smartphone doivent savoir que, dans ce micro-Etat insulaire isolé du reste du monde, la connexion Internet est faible et les coupures d’électricité fréquentes. Mais les plages paradisiaques, la mer couleur émeraude et l’hospitalité inégalée des Tuvaluans feront vite oublier ces petits désagréments. En dehors de la période d’or susmentionnée, le site Polynesiaparadise prévient que de fortes marées peuvent inonder les terres intérieures en profondeur et ravager les quelques terrains agricoles. A cela s’ajoute le risque des cyclones qui détruisent périodiquement les habitations de fortune.
Tenté par l’aventure polynésienne? Ne traînez pas… Bientôt, l’archipel de neuf atolls sera rayé de la carte, englouti dans l’océan Pacifique sud. La montée des eaux due au réchauffement climatique menace de plus en plus Tuvalu dont le territoire ne dépasse pas les trois mètres au-dessus du niveau de la mer. Au point que l’Australie, qui se trouve à 4.000 kilomètres de là, a négocié, en 2023, un accord de mobilité climatique –une première mondiale– avec le mini-Etat de près de 11.000 habitants: c’est le traité de l’Union Falepili, qui signifie «hospitalité» en Tuvaluan.
Cet accueil, consistant en des droits spéciaux pour s’installer et y travailler, doit s’étaler dans le temps. Le gouvernement de Canberra vient d’octroyer les premiers visas climatiques à 280 Tuvaluans. La file d’attente est longue, car 8.750 candidatures, soit plus de 80% de la population, ont déjà été enregistrées par les autorités australiennes. C’est dire l’angoisse des insulaires polynésiens pourtant accrochés à leur pays et leur culture. On assiste bien là au premier exil climatique organisé de l’histoire. En attendant les prochains visas, Tuvalu tente de gagner du temps, avec l’aide de l’ONU, en drainant le lagon pour gagner quelques hectares de terrain sur l’océan.
En costume-cravate dans l’eau
L’archipel est sans doute le territoire de la planète le plus vulnérable à la montée des eaux. Si la hausse globale des températures ne dépasse pas 1,5°C –et on sait désormais que ce seuil sera dépassé– plus de la moitié de l’archipel se verra submerger avant 2050, selon les scientifiques, ce qui la rendra inhabitable. La quasi-totalité, en 2100. Depuis plusieurs années, le ministre des Affaires étrangères de Tuvalu, Simon Kofe, tente d’alerter désespérément les Etats participant aux COP, les grandes conférences internationales sur le climat. Lors de celle de Glasgow en 2021, il s’était adressé de manière retentissante à la communauté internationale, en costume-cravate, derrière un pupitre et les pieds dans l’eau sur une plage de Tuvalu. L’année suivante, en Egypte, il a annoncé que son pays allait créer un jumeau numérique dans le métavers. «Nous n’avons pas d’autres choix que de devenir la première nation digitale au monde, avait-il expliqué. Nous cherchons comment faire pour continuer à fonctionner en tant que pays, même si l’on perd la totalité de notre territoire».
A Tuvalu, des militants écologistes ont souligné l’ironie de voir l’un des pays les plus pollueurs du monde comme l’Australie, où le charbon reste la principale ressource énergétique, offrir un visa climatique. Le traité de l’Union Falepili contient par ailleurs des contreparties à l’accueil accordé au Tuvaluans. Il s’agit, en particulier, d’un droit de veto que l’Australie s’est octroyé sur l’ensemble des relations de défense et de sécurité sur l’île stratégiquement située dans le Pacifique sud où la Chine cherche à étendre son influence. Dans un avis qualifié d’«historique» rendu récemment par la Cour internationale de Justice (CIJ) de l’ONU, les juges affirment que les pays les plus riches doivent «être à l’avant-garde de la lutte» et que le fait de ne pas souscrire à ces obligations est «un fait internationalement illicite» pouvant amener à octroyer une «réparation intégrale aux Etats lésés». Si cet avis n’est que consultatif, il servira d’argument et de jurisprudence pour les tribunaux de tous les Etats, de plus en plus souvent amenés à examiner une «affaire climat».
Ce sont justement des étudiants en droit d’îles du Pacifique sud qui avaient fait en sorte que la CIJ soit saisie, il y a deux ans. La Cour, qui n’a rendu qu’une trentaine d’avis depuis sa création en 1948, n’a pas traîné pour se prononcer dans ce dossier-ci. Mais, pour Tuvalu, cet avis arrive toutefois après la bataille. Son territoire semble inexorablement condamné. Et cela risque d’être le cas d’autres pays dans le monde dont une grande partie du territoire est menacée par la montée des mers. Au Bangladesh, où la topographie est basse, la population est très concentrée dans le delta du Gange, le plus grand au monde, déjà vulnérable aux inondations. Idem pour les deltas du Mékong et du Fleuve rouge au Vietnam où l’érosion des côtes s’accélère ou encore le delta du Nil, très fertile, où vit une frange importante de la population égyptienne. Les îles basses des Philippines ou de l’Indonésie sont également très exposées.
D’autres grandes métropoles, comme Osaka au Japon, craignent de puissants tsunamis avec l’élévation du niveau des mers. Notons aussi qu’un an avant Tuvalu, Séoul et La Barbade avaient déjà déclaré vouloir transférer, par mesure de prudence, une partie de leurs services administratifs dans le métavers… L’Europe n’est pas en reste. Selon une étude de l’Université de Delft (Pays-Bas), publiée début 2024 dans Scientific Reports, certaines régions côtières du Vieux Continent pourraient perdre entre 10 et 20% de PIB en raison des conséquences du changement climatique. Pour l’ensemble du PIB européen et britannique, la perte pourrait être de 1,26% d’ici la fin du siècle. Selon les chercheurs hollandais, la Vénétie, la côte atlantique française, celle du Pas-de-Calais et le… littoral belge, où les activités touristiques, marines et portuaires sont importantes, sont les plus à risque de subir une chute du PIB d’environ 7,5% en raison de la montée des océans. Rappelons que dans le Finistère, en Bretagne, on a assisté, juste avant l’été, aux premières destructions de maisons menacées par l’érosion du littoral qui s’est accélérée.