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Mer d’Azov : Poutine et Porochenko face au spectre de la politique intérieure

Le Vif

Derrière la confrontation navale entre l’Ukraine et la Russie au large de la Crimée, il y a deux hommes, Vladimir Poutine à Moscou et Petro Porochenko à Kiev, tous les deux soucieux de consolider leur popularité en chute libre.

Les considérations de politique intérieure se mêlent aux enjeux stratégiques et militaires en mer d’Azov dans ce nouveau bras de fer entre ces anciennes républiques « soeurs » au sein de l’Union soviétique.

A Moscou, l’homme fort de la Russie Vladimir Poutine a vu sa cote de popularité, très élevée pendant des années, dégringoler sur fond de problèmes économiques et d’une fronde sans précédent contre une impopulaire réforme des retraites.

Selon le dernier sondage du Centre Levada, connu pour son indépendance, seuls 40% des Russes seraient prêts aujourd’hui à voter pour M. Poutine, pourtant réélu en mars avec 77% des voix dès le premier tour. Pire encore, 61% le jugent personnellement « responsable » des problèmes de leur pays.

« Détourner l’attention de ces problèmes est dans l’intérêt des autorités », explique à l’AFP l’analyste Konstantin Kalatchev. « Les sondages (sur la popularité) sont en chute à tous les niveaux du gouvernement, y compris du président. Voilà donc le moyen le plus facile de protéger leur popularité », poursuit-il.

En dépit de certaines réformes économiques et du retour de la croissance, la Russie peine à se relever de la récession des années 2015 et 2016.

Les sanctions occidentales imposées à ce pays après qu’il eut annexé la péninsule ukrainienne de Crimée et la chute des prix du pétrole n’ont pas aidé. Si M. Poutine promet une croissance économique annuelle de 4% et la division par deux du taux de pauvreté d’ici à 2024, la Banque mondiale prévoit une augmentation du PIB de moins de 2% par an pour 2019 et 2020.

La hausse de l’âge du départ à la retraite, entérinée par le président russe début octobre, a provoqué une vague de colère et des manifestations massives, fait rare en Russie.

– Jouer sur le « paternalisme » –

Un nouveau conflit avec l’Ukraine et la ferveur nationaliste qu’elle suscite, bien aidée par les médias officiels russes, pourrait faire oublier ce mécontentement, estime M. Kalatchev. « Si vous regardez les discussions sur les réseaux sociaux, ça marche déjà. On voit à nouveau les sentiments de +hourra-patriotique+, l’ukrainophobie… Parler d’une possible guerre est un bon moyen de détourner l’attention », explique-t-il.

En Ukraine, le fervent adversaire de M. Poutine, son homologue Petro Porochenko, qui cherche à se faire réélire pour un deuxième mandat à la présidentielle du 31 mars, est confronté à des problèmes similaires.

Elu dès le premier tour dans la foulée du soulèvement proeuropéen du Maïdan, qui a débouché en 2014 sur la fuite en Russie de son prédécesseur prorusse, M. Porochenko n’a pas un mandat des plus faciles.

Annexion de la Crimée, guerre avec les séparatistes prorusses dans l’Est qui a fait plus de 10.000 morts et près de 1,7 million de déplacés en quatre ans, grave crise économique et mesures d’austérité, etc. : les Ukrainiens critiquent leurs dirigeants pour leur gestion de ces crises incessantes.

Aujourd’hui, le chef de l’Etat ne figure qu’en troisième, voire en quatrième, position parmi les candidats à la présidentielle avec à peine 10% des intentions de vote contre 20% pour Ioulia Timochenko, une ex-Première ministre en tête des sondages.

Dans ce contexte, la confrontation navale avec la Russie met de l’eau au moulin de M. Porochenko, qui a notamment réussi à imposer lundi au Parlement l’introduction de la loi martiale pour 30 jours, même s’il a dû diviser par deux la durée de sa mise en oeuvre et limiter son action à des régions frontalières face à la résistance des députés.

Cela pourrait lui apporter une dizaine de points supplémentaires dans les sondages, a estimé auprès de l’AFP l’expert ukrainien des questions politiques Oleksandre Medvedev.

Avec sa posture de commandant en chef, Petro Porochenko apparaît pendant cette période comme le « patron, tout le monde l’écoute et discute de lui », explique M. Medvedev. « Tout le reste, y compris la critique de la situation économique, passe à l’arrière-plan, c’est la peur d’une guerre qui éclipse tout ». La loi martiale « vise à renforcer l’image de Porochenko défenseur de l’Ukraine (…) et à réorienter la campagne » des sujets de société vers « la sécurité nationale », a déclaré une source dans l’entourage du président citée par l’agence de presse RBC-Ukraine.

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