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Libye : les insurgés s’offrent une constitution

La « déclaration constitutionnelle » adoptée le 3 août par le Conseil national de transition ébauche les contours de la Libye nouvelle. Bon courage.

LEXPRESS.fr s’est procuré ce mercredi à la mi-journée la traduction française de la constitution provisoire adoptée récemment par le Conseil national transitoire, organe politique de l’insurrection libyenne.

On peut bien entendu céder à la tentation de réduire ce document à un catalogue de voeux pieux, émanant d’une instance désireuse de combler les attentes de ses parrains et alliés occidentaux. Mais une lecture attentive des 37 articles de ce texte lui confère un tout autre intérêt. Elle atteste combien les futurs maîtres du pays, conscients de l’infernale complexité des chantiers dont ils hériteront, s’efforcent de marier la vitalité des exigences démocratique des insurgés à l’impératif de respect de la tradition, au sein d’une société profondément religieuse. Mais cette feuille de route reflète aussi la volonté de conjurer les pièges légués par le régime tyrannique de Muammar Kadhafi, aux commandes depuis plus de quatre décennies. Despotisme, caporalisme, régionalisme, tribalisme, clientélisme, népotisme: en creux, tous les travers d’une Jamahiriya agonisante transparaissent au gré des articles…

Adoptée « le 3 Ramadan de l’an 1432 de l’Hégire » -soit le 3 août-, la « déclaration constitutionnelle » du « Conseil national transitoire intérimaire » ébauche, « au nom de Dieu Clément et Miséricordieux » les contours institutionnels de la « Libye libre ». Nul doute qu’elle préfigure le contenu de la future loi fondamentale permanente du pays, dont le rédaction sera confiée à une commission ad hoc, et qui sera soumise par référendum au peuple libyen.

Dans son préambule, le document rend hommage aux « martyrs » de la révolution déclenchée le 17 février 2011, invoque « la volonté du peuple libyen et ses aspirations à réaliser la démocratie et à promouvoir les principes du pluralisme politique et de l’Etat de droit », et souligne la nécessité « d’enseigner l’esprit islamique, l’amour du bien et de la patrie aux générations futures. » Objectif affiché: l’avènement d’une « société de la citoyenneté, de la justice, de l’égalité, du progrès, du développement et de la prospérité. »
Quelques articles dans le détail

Dans le premier des 37 articles du document, l’islam est défini comme la religion de la Libye, « Etat démocratique indépendant », et la charia -loi coranique-, y apparaît comme « la source principale » de la loi. Quant aux non-musulmans, ils se voient garantir la liberté d’exercer leur culte. Si l’arabe demeure langue officielle, les « droits linguistiques et culturels » des minorités, notamment berbère et touarègue, sont eux aussi affirmés.

L’article 3 consacre l’adoption du drapeau de l’ère monarchique -rouge, noir et vert, frappé d’un croissant et de l’étoile à cinq branches-, devenu dès les prémices du soulèvement l’emblème des insurgés.

L’article 5 définit la famille comme le fondement principal de la société. L’article suivant affirme l’égalité de tous les Libyens devant la loi, sans distinction de religion, doctrine, langue, richesse, sexe, liens du sang, opinions politiques, statut social, appartenance tribale, régionale ou familiale.

Le chapitre 2 détaille les « droits et libertés publiques », mais précise aussi les devoirs du citoyen, appelé dans l’article 9 à « combattre les tendances régionalistes, factionnelles et tribales ». Les articles 11 et 12 établissent l’inviolabilité du logement et de la propriété, mais aussi de la vie privé des Libyens. « L’Etat, est-il spécifié, n’a pas le droit de les espionner, sauf sur ordonnance judiciaire conforme aux dispositions de la loi ». Cet engagement s’étend au respect de la confidentialité de la correspondance, des conversations téléphoniques et des échanges menés par d’autres moyens de communication. L’article 14 garantit quant à lui la liberté d’opinion, d’expression individuelle, des médias, de l’édition, ainsi que la liberté de déplacement, de regroupement et de manifestation, pourvu que ces rassemblements demeurent là encore conformes à la loi. Autre liberté fondamentale, instaurée par l’article 15: celle de former des partis, associations et autres organisations de la société civile, dès lors qu’ils ne contreviennent pas à l’ordre et à la moralité publics et ne menacent en rien l’intégrité territoriale du pays.

La seconde partie de cette « déclaration constitutionnelle » s’attache à dépeindre le système de gouvernement en vigueur durant la phase de transition.

Le « Conseil national transitoire intérimaire » (CNTI), appelé à siéger d’ordinaire à Tripoli, reste « la plus haute autorité de l’Etat » et « le seul représentant légitime du peuple libyen » (article 17). Il est « le garant de l’unité nationale » et de la sécurité du territoire, ainsi que de celle des citoyens. C’est également à lui qu’échoit la prérogative de ratifier les traités internationaux. Composé de représentants des conseils locaux, le CNTI élit parmi les siens un président et deux vice-présidents. Suit, dans l’article 19, le texte du serment que prononcent tous les membres du Conseil. Ceux-ci ne peuvent occuper parallèlement un poste public ou siéger au sein d’un conseil d’administration. « Pendant la durée de son mandat, lit-on ensuite, le membre du Conseil, son conjoint ou ses enfants ne peuvent procéder à l’achat ou à la location de biens de l’Etat, ni louer ou vendre une de ses propriétés », ni même conclure un contrat de nature commerciale avec un partenaire étatique.
Conformément au modèle instauré dès le mois de mars, le CNTI désigne un Bureau exécutif -gouvernement de facto-, intérimaire lui aussi, dont il a le pouvoir de démettre le président ou l’un quelconque des membres.

L’article 28 stipule l’établissement par le CNTI d’une Cour des comptes (« cellule de comptabilité « dans la traduction dont dispose LEXPRESS.fr), chargée de veiller à la rigueur et à la transparence des dépenses engagées et de la gestion des deniers publics.
Au terme de l’article 30, le CNTI formera un gouvernement provisoire dans les 30 jours suivant la  » déclaration de libération  » du pays. Dans les 90 jours consécutifs à cette déclaration, il se doit de programmer par décret l’élection d’un Congrès national général (CNG) de 200 membres, de nommer une Commission électorale suprême, et de convoquer le scrutin. Dès la première réunion de cette assemblée, le CNTI sera dissout. Dans les 30 jours qui suivent, le CNG nomme un Premier ministre, dont le gouvernement sera soumis à un vote de confiance. Il désigne également un organe constitutionnel invité à soumettre un projet de loi fondamentale dans un délai de 60 jours. Projet soumis à référendum (majorité des deux-tiers requise) dans les 30 jours suivant son adoption par le Congrès. Suivront des élections générales dans les six mois postérieurs à l’adoption des textes législatifs en régissant les modalités. Le scrutin se déroulera sous la surveillance conjointe de la Commission électorale, du pouvoir judiciaire, de l’Onu et des organisations internationales et régionales. La dissolution du CNG sera prononcée dès la première session de l’assemblée législative ainsi élue.

Les articles 31 à 33 énoncent les garanties judiciaires fournies au citoyen. Ils affirment notamment les principes de la présomption d’innocence, du strict respect de la loi et de l’indépendance des magistrats, et interdisent l’instauration de tribunaux d’exception.
Voilà donc pour l’énoncé du credo de la Libye nouvelle. Et c’est ici que les difficultés commencent…

Vincent Hugeux, L’Express.fr

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